
Les relations quotidiennes entretenues par les individus entre eux ont une grande influence sur l’absence ou non des troubles entre les communautés et même des Etats. Vu leur poids dans les idéologies véhiculées d’un peuple à l’autre, les religions jouent de ce fait un rôle déterminant dans la culture et la préservation de la cohésion sociale. Adolphe KODJO, coordinateur du Réseau africain pour le maintien de la paix (Ramp-Bénin), département de l’ouémé et chargé du programme Digital Peace Building au sein de la même organisation, nous en dit davantage dans cette interview qu’il a accordée au journal.
Fraternité : En quoi les fêtes religieuses véhiculent-elles des valeurs favorables à la paix et à la cohésion sociale ?
Adolphe Kodjo : Ces fêtes sont souvent marquées par des gestes de partage, des rencontres inter-générationnelles et parfois inter-confessionnelles, favorisant une ambiance d’unité et d’humanité partagée. Elles invitent à la solidarité, à la réconciliation avec soi et les autres. Le Ramadan est un mois d’introspection, de jeûne, de patience, d’empathie envers les pauvres, et de purification de l’âme. La Tabaski (fête du sacrifice) enseigne l’obéissance, le don de soi, la générosité et la solidarité. Ces moments sont porteurs de valeurs universelles qui favorisent naturellement la paix et la cohésion sociale : Noël et Pâques célèbrent l’amour, le pardon, le partage et la rédemption.
À cela s’ajoutent les fêtes traditionnelles, en particulier la fête nationale du Vodun célébrée chaque mois de janvier au Bénin, qui valorise les traditions spirituelles africaines autour de la paix avec les ancêtres, l’harmonie avec la nature et le vivre-ensemble communautaire. L’engouement des touristes internationaux autour des Vodundays, malgré les différences culturelles et appartenances religieuses, en est la preuve. Ces célébrations mettent en avant le respect mutuel, la tolérance interreligieuse et la transmission des valeurs culturelles dans un esprit de fraternité.
Avez-vous des exemples concrets où ces fêtes ont contribué à apaiser des tensions ou à renforcer le dialogue entre communautés ?
Oui, il y a plusieurs exemples à travers l’Afrique et ailleurs. Je ne pourrai cependant énumérer que quelques-uns. A cet effet, au Nigeria, dans des contextes de tensions religieuses, des imams et des prêtres ont organisé des repas de rupture de jeûne (Iftar) pendant le Ramadan en présence de chrétiens, pour promouvoir la paix. Au Bénin, pays de tolérance religieuse, on observe souvent des échanges de vœux et de visites réciproques entre chrétiens, musulmans et adeptes du Vodun pendant les grandes fêtes, renforçant les liens sociaux. En Côte d’Ivoire, après la crise post-électorale de 2010-2011, des célébrations religieuses communes (notamment à Noël et lors de la Tabaski) ont été utilisées comme prétexte pour rassembler les communautés divisées, avec l’appui d’ONG et de leaders religieux.
Quel rôle les leaders religieux peuvent-ils jouer durant ces périodes pour promouvoir des messages de tolérance et de réconciliation ?
Les leaders religieux ont une autorité morale et spirituelle puissante, notamment pendant les grandes fêtes. Ils peuvent prêcher la tolérance, le respect de l’autre, la paix et la non-violence dans leurs sermons ou prêches. Ils peuvent organiser des actions communes, telles que des prières interreligieuses, des dons aux pauvres sans distinction de foi, ou des rencontres entre communautés. Ils ont aussi un rôle important dans la prévention des conflits, en utilisant leur influence pour désamorcer les tensions pendant les périodes sensibles.
Comment les États, la société civile et les citoyens peuvent-ils mieux valoriser ces moments religieux comme leviers de paix durable ?
Pour mieux valoriser ces moments religieux et en faire des leviers de paix durable, les États pourraient encourager les initiatives interreligieuses autour des fêtes (forums, célébrations communes), inclure dans les programmes scolaires une éducation au dialogue interreligieux et soutenir financièrement les campagnes de sensibilisation à la paix et à la tolérance pendant ces périodes. Quant à la société civile, elle gagnerait plus en organisant des activités culturelles et citoyennes pendant les fêtes (repas partagés, débats, concerts pour la paix) et en mettant en valeur des témoignages positifs de coexistence religieuse. De leur côté, les citoyens feraient mieux d’adopter des attitudes de respect mutuel (souhaiter bonne fête, participer à certaines célébrations) et faire preuve de solidarité communautaire, surtout envers les plus vulnérables, quelle que soit leur religion.
Propos recueillis par Michèl GUEDENON