
Ange M’poli M’TOAMA
C’est une série noire qui secoue une fois de plus le corps des enseignants. En l’espace de 48 heures, trois Aspirants au Métier d’Enseignant (AME) ont perdu la vie. Ils sont victimes de malaises dont les causes, bien que médicales, soulèvent de graves interrogations sur les conditions de travail de ces enseignants.
Le premier décès a été enregistré à Péhunco. Fiacre Allohewe, enseignant de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT), est décédé le mardi 15 avril 2025 aux environs de 21 heures, à l’hôpital de Parakou, des suites d’un accident vasculaire cérébral (AVC). « Un coup dur pour nous, sa famille et pour le système éducatif », a réagi un collègue. Quelques heures plus tard, Kpetchego Patrick, professeur de philosophie en poste au CEG Houèto et au CEG 1 d’Abomey-Calavi, est lui aussi décédé brutalement après avoir été frappé par un AVC alors qu’il corrigeait des copies. Son entourage parle d’un homme affaibli depuis plusieurs jours. Un collègue confie avec émotion sa situation quelques jours avant son décès. « Il y a des jours où il venait au cours sans pouvoir dire un mot pendant deux heures. Sa tension montait trop. Je lui ai conseillé de se reposer. Il m’a confié ne pas pouvoir se permettre d’arrêter. Ça me fait très mal qu’il soit parti comme ça ». Le troisième décès, survenu dans les mêmes circonstances de surcharge et de tension, achève de peindre un tableau préoccupant de la santé mentale et physique des AME au Bénin.
Des conditions de travail sous haute pression
Ces décès ne sont pas de simples faits divers. Ils s’inscrivent dans la réalité d’un système que dénoncent les Aspirants. Ceux-ci très vulnérables face aux conditions à eux imposées. Avec des charges horaires qui dépassent les vingt-six heures par semaine, les AME enchaînent les cours dans plusieurs classes, parfois dans plusieurs établissements, sans le confort de la stabilité ni la reconnaissance d’un statut valorisé. À cette surcharge de travail s’ajoute la précarité salariale. Ils sont payés à moins de 100.000 francs CFA mensuels, sans couverture sociale adéquate. Dans un cri de cœur, Ghislain Adjagan, coordonnateur départemental Atacora de l’Association ‘‘Aspirant, Négocie ta Cause’’ (ANTC) partage l’amertume de ses collègues. « On n’en peut plus, des foyers sont brisés à cause du reversement. Nos collègues meurent et il n’y a pas ce moment où on n’entend pas des situations horribles. Ils tombent, les uns après les autres. AVC, ulcères, dépressions. Et quand ils meurent, c’est dans le silence. Pas de minute de silence, pas d’hommage national. Juste une chaise vide, une classe orpheline et un collègue AME en plus pour porter ce fardeau ».
Face à cette vague de décès, il urge l’ouverture d’une enquête socioprofessionnelle approfondie pour comprendre les causes profondes de cette hécatombe silencieuse. Est-ce le stress professionnel, l’absence de suivi médical, la pression des horaires ou le cumul de tous ces facteurs ? Il est grand temps que les autorités éducatives et politiques se penchent sérieusement sur la condition des AME.