Actuellement, impossible pour papa, maman et les enfants, de manger, de s’abriter, de se vêtir, de se soigner et de s’instruire, avec moins de 1735FCFA par jour. Soit, approximativement, l’équivalent journalier des 52000FCFA mensuels, représentant le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) au Bénin.
Vadim QUIRIN
« Trop de dettes », soupire Charbel, derrière son comptoir d’accueil des usagers de son patron, expert en développement. « Avant que le peu de salaire ne vienne, tu as déjà tellement emprunté au point où tu ignores même pourquoi tu travailles », ronchonne-t-il. Pourtant, Charbel, ne supporte aucune charge locative. Il vit, avec sa petite famille, dans la maison de ses parents. « Que valent d’abord 100000FCFA aujourd’hui ? C’est ce qu’il faut regarder avant même de vouloir parler des 52 000FCFA (qui représentent, au Bénin, le salaire minimum interprofessionnel garanti -SMIG-) », relance cette veuve sexagénaire, résidente à Calavi. « Ici, à peine j’arrive à entrer en possession du loyer qui varie entre 8000FCFA et 15000FCFA par mois. Certaines personnes s’enfuient même avec les impayés ». Puis elle se résigne, « c’est dur pour moi mais je comprends ».
« Le tout est cher » bat son plein
En une décennie, fait-elle observer, le coût des produits de première nécessité a doublé. Le litre d’huile est passé de 600FCFA à 1200FCFA. La mesure de gari de 200FCFA ou 300FCFA à 500FCFA. La mesure de haricot connaît aussi son pic : de 350FCFA ou 400FCFA à 700FCFA. Même le kluiklui (galette faite à base de la pâte d’arachide) a perdu de sa grosseur. Ce qui est aujourd’hui vendu à 25FCFA équivaut à la galette vendue à 10FCFA il y a 20 ou 30 ans. Dans le même temps, impossible de s’aventurer sur le terrain des condiments. Il vaut mieux s’en éloigner au minimum. Sinon, on ne peut se procurer le kilogramme de riz qui est aujourd’hui vendu entre 500FCFA et 1300FCFA. Le vandzou est devenu une perle. Tout le monde ne le vend plus. Le kilogramme du poisson sivili coûte entre 1500FCFA et 1700FCFA. Cette augmentation des prix des produits alimentaires est constatée par l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSTAD). Son bulletin mensuel des prix, à la fin du mois d’avril 2025, mentionne qu’il y a effectivement eu une hausse de 1,5 % des prix des produits alimentaires sur le marché. Des détails sont donnés : le coût des céréales a grimpé de 1,6% et celui des poissons et autres fruits de mer a augmenté de 2,4%.
Une performance qui reste en haut et ne vient pas en bas
Pourtant, les agrégats économiques du pays sont en très bonne forme, au point où, il a rejoint en 2020 le groupe des pays à revenu intermédiaire. Le document intitulé « Profil du Marché du Travail (PMT) 2025/2026 » admire sa croissance économique : « Le Bénin a connu une croissance économique robuste au cours de la dernière décennie ». L’INSTAD exhibe les chiffres qui corroborent cette qualification : « Le pays a enregistré un taux de croissance économique de 9,2% au quatrième trimestre 2024 ». Et pour toute l’année 2024, le taux de croissance économique est estimé à 7,5% contre 6,4% en 2023. Le document PMT encense même cette performance en faisant remarquer que, « l’économie béninoise a résisté aux chocs récents dus à la pandémie mondiale de Covid 19, à la fermeture des frontières avec le Niger et aux difficultés macroéconomiques du Nigeria ». Ce que ne ressent pas encore le travailleur béninois. Surtout celui qui vit avec, au plus, le SMIG de 52000FCFA par mois. Soit, moins de 1735 FCFA par jour avec sa femme et ses enfants. Ces 52000FCFA qui sont bien en dessous des SMIG du Togo (52500FCFA), du Sénégal (64223FCFA) et de la Côte d’Ivoire (75000FCFA). Rien d’étonnant pour certains experts qui estiment que le revenu du travailleur béninois est nettement inférieur à la moyenne de l’Afrique de l’Ouest. Cet état de choses fait que ceux qui touchent au-delà du SMIG n’arrivent pas non plus à s’en sortir avec leur salaire.
Améliorer les conditions
En la matière, Michel, salarié touchant par mois 95000FCFA, montre ci-dessous, comment ce pouvoir d’achat est érodé dans un contexte de vie chère. Il décrit : « Avec ce salaire, je paye par mois 35000FCFA de loyer, je paye l’eau, je charge le compteur d’électricité, je charge le gaz, on ravitaille pour cinq personnes (époux, épouse et les trois enfants), il faut donner l’argent du petit déjeuner, des condiments et du poisson ou de la viande, je dois réserver pour le déplacement, payer les scolarités, habiller toute la famille et en cas de maladie, y faire face … ». Actuellement, confie-t-il, « je cherche mieux ailleurs. Car, après avoir payé le loyer et déduit les frais liés à la ration, il ne me reste plus rien. Quand les enfants ou leur mère tombent malades, si les tisanes ne répondent pas, j’emprunte pour les soigner ». Une indiscrétion partage à contre-cœur le déboire d’un ménage : « Une famille est au bord de l’explosion à cause de cette insuffisance de ressources. L’époux a un revenu compris entre 200000 et 300000FCFA. L’épouse est une ménagère. Les deux filles et quatre garçons du couple ont grandi et sont au collège et à l’université. Les charges ont donc augmenté. Déboussolé, ne comprenant plus les raisons de son incapacité à joindre les deux bouts avec cette rémunération, l’époux a instauré un cahier des dépenses dans le ménage. Le moindre franc sorti y est inscrit et gare à la maman si elle ose demander plus que le montant à elle remis ou si elle ose dépenser plus que le mois antérieur … ». Ils ne peuvent pas tenir, soutient avec conviction Adja Maïmouna. « Regardez, moi j’ai ma boutique. Mon mari travaille quelque part et en plus de cela, il a un cafétaria. Sans cela, nous ne pouvons pas à l’heure actuelle supporter les charges de nos trois gosses. Malgré tout, des périodes arrivent où nous consentons d’énormes sacrifices pour tenir », indique-t-elle comme chemin à emprunter. Pour sortir de cette nébuleuse, en Côte d’Ivoire, les travailleurs sont en train d’exiger que leur SMIG passe de 75000FCFA à 150000FCFA. Ici au Bénin, les autorités ont opté pour que d’ici 2030, soit dans moins 5 ans, pour le compte de l’atteinte des objectifs du développement durable, tous les travailleurs jouissent du « plein emploi productif et du travail décent ».
