Facilité, mirage, sextorsion, pornographie… Les réseaux sociaux, outils de connexion, d’expression, et de divertissement, deviennent parfois de redoutables pièges pour la santé mentale des jeunes. Le phénomène, pourtant moins connu au Bénin, est en pleine expansion.

Arsène AZIZAHO
Photos de voyages, gains faciles, ou challenges « qui buzzent »… Sur les réseaux sociaux, la promesse de succès et de popularité semble désormais à portée de clic. Mais ce décor lisse masque souvent une réalité sombre. Ils sont nombreux, ces jeunes accrochés à leurs téléphones, scrolant TikTok, Facebook ou Instagram, sans vraiment mesurer l’impact de cette immersion constante sur leur équilibre mental. Si les réseaux sociaux ont permis de briser certaines barrières de communication et de visibiliser la parole des jeunes, ils sont aussi devenus un terrain fertile pour des pratiques nuisibles : surconsommation de contenus, pression de la performance, fausses représentations de la réussite, et pire encore, le vice sous toutes ses formes. Au Bénin, les chiffres exacts sur l’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale ne sont pas connus, mais les professionnels tirent la sonnette d’alarme. Les psychologues reçoivent de plus en plus de jeunes en consultation, victimes de dépression, d’anxiété ou de trouble de l’image corporelle, en lien direct avec l’usage excessif des réseaux sociaux. Selon une étude de l’UNICEF en 2021, 1 jeune sur 7 dans le monde souffre d’un trouble mental. En France, près de la moitié des 18‑24 ans déclarent que les réseaux sociaux nuisent à leur santé mentale. Un chiffre que d’aucuns craignent voir se vérifier dans la jeunesse béninoise. L’impossibilité de se mesurer à ces standards entraîne anxiété, perte d’estime de soi et addiction aux « like ». En Afrique de l’Ouest, les cas de troubles anxieux et dépressifs augmentent chez les 15-24 ans. Si le phénomène est mondial, le contexte socio-économique béninois renforce sa gravité. L’illusion de la facilité vendue sur la toile entraîne une frustration croissante chez des jeunes confrontés à la réalité du chômage et de la précarité. « Le risque, c’est la dépression, le stress mental… et c’est tout ça qui conduit au suicide devenu monnaie courante au Bénin », explique le psychologue Comlan Bernard Kouassi.
Sextorsion et cyberharcèlement : des dérives en plein essor
Sarah, 19 ans, étudiante à l’université d’Abomey-Calavi, en a fait l’amère expérience. « J’avais envoyé une photo intime à mon petit ami sur WhatsApp. Quelques semaines plus tard, un inconnu m’a menacé de publier la photo si je ne lui envoyais pas d’argent. J’étais tétanisée », raconte-t-elle. Comme elle, des dizaines d’adolescents et de jeunes tombent chaque mois dans les filets de la sextorsion, une forme de chantage sexuel en ligne. L’ex OCRC rapporte une recrudescence de plaintes liées à ces pratiques, souvent dues à une activité accrue sur les réseaux. Et les victimes ne sont pas toujours conscientes des risques encourus : diffusion non consentie d’images, traumatisme psychologique, isolement social etc.
Parallèlement, le cyberharcèlement (insultes ou menaces sur les réseaux) se développe, souvent sans être reconnu. Pour Majoie Houndji, activiste et ancienne victime de cyberharcèlement, la situation béninoise est restée longtemps méconnue. « Il y a des gens qui vivaient le cyberharcèlement, mais ils ne savaient pas qu’ils le vivaient », a-t-elle confié à Bénin Intelligent. Aujourd’hui, elle constate ses effets dévastateurs : « Ceux qui vivent le cyber-harcèlement peuvent se déprimer, ils peuvent chercher à se suicider ».
La pornographie et ses conséquences invisibles
Facile d’accès via Telegram, X (ex-Twitter) ou certains groupes Facebook, la pornographie devient une porte d’entrée dans l’addiction pour de nombreux jeunes. Après un scandale viral (l’affaire dite « Bangala » où une jeune fille montrait ses « talents sexuels »), les contenus coquins ou pervers se sont multipliés : scènes intimes d’adolescents, partouzes, ou simples images intimes partagées pour obtenir des « followers » et des « likes ». Sur Tiktok actuellement, se déroule un challenge où des jeunes, notamment adolescents, font une compilation de leurs photos, en y insérant une image à caractère pornographique, qui elle, dure généralement moins d’une seconde. C’est dire combien le phénomène prend de l’ampleur, et les réseaux sociaux n’arrivent plus à réguler convenablement, eux-mêmes, en quête de performance. Pour ces jeunes, les conséquences sont énormes, parfois fatales : troubles de la perception de la sexualité, dépendance, troubles de l’attention, baisse du rendement scolaire etc.
Un vide en matière de régulation, des pistes urgentes
Malgré quelques campagnes sporadiques de sensibilisation, la prévention peine à suivre la vitesse désarmante de propagation des contenus nocifs. Le Bénin ne dispose pas encore d’une politique nationale d’éducation au numérique intégrée dans les programmes scolaires. Les parents, souvent démunis, ne savent comment surveiller les activités numériques de leurs enfants. Et les jeunes, eux, manquent d’espaces d’expression encadrés pour parler de leurs souffrances. Malheureusement, au Bénin, la “dépression” reste encore tabou. Et il urge d’agir. Il faut notamment envisager l’intégration de modules sur la santé mentale et l’éducation aux médias à l’école, la création de plateformes d’écoute pour jeunes en détresse, le renforcement de la réglementation contre la cybercriminalité et une meilleure implication des fournisseurs d’accès internet et des influenceurs (ces derniers étant des causes indirectes). En tout cas, la société béninoise est aujourd’hui à la croisée de deux réalités : celle d’une jeunesse connectée, curieuse et ambitieuse, et celle des dérives d’un monde virtuel où les repères s’effritent. La santé mentale, longtemps taboue, doit devenir un sujet central dans les politiques publiques et les débats citoyens. Sinon, le mirage deviendra malheur.