Autrefois, les panégyriques vibraient comme les battements d’un cœur collectif. Ils berçaient l’enfance, scellaient les alliances, réconciliaient les cœurs. Portés par la voix des anciens, ils étaient mémoire vivante, souffle d’identité. Aujourd’hui, ces paroles nourries de sens sont trop souvent réduites à de simples formules incantatoires, mal comprises, mal aimées. La confusion entre culture et culte, accentuée par l’arrivée des religions importées et la méconnaissance grandissante de nos racines, a peu à peu étouffé cet art sacré. Certains, par crainte ou rejet, ont renié leur lignée, effacé leurs empreintes, accusé leur panégyrique d’être source de malheur. Face à cette amnésie culturelle, Pascaline ADANZOUNNON, journaliste et promotrice de la soirée de gala ÔDJÔ IFÈ, prend la parole. Dans cet entretien, elle appelle à réhabiliter le panégyrique, non comme un poids mystique, mais comme un héritage précieux, un acte d’amour à transmettre.

Qu’est-ce qu’un panégyrique et pourquoi reste-t-il si méconnu, notamment auprès des jeunes ?
Les panégyriques claniques, aussi appelés litanies, sont des prolongements du patronyme. Ce sont des paroles laudatives, de véritables poèmes d’identité et d’intégration sociale. En 2012, lorsque je soutenais mon mémoire, peu de jeunes en avaient connaissance. Heureusement, un renouveau s’opère : artistes, chanteurs, comédiens et promoteurs culturels s’emploient aujourd’hui à les remettre à l’honneur.
Mais ce regain est à relativiser : beaucoup de parents ignorent eux-mêmes les panégyriques de leur lignée, car ils étaient traditionnellement réservés aux tangninon. L’absence de transmission a érigé le panégyrique en mythe, relégué à un passé révolu.
Qu’est-ce qui vous a motivée à vous intéresser à cette forme d’expression ?
Tout part d’un désir profond de découverte et d’enracinement. C’est une quête identitaire et culturelle que je n’ai jamais regrettée. D’ailleurs, on observe aujourd’hui des artistes intégrer des panégyriques dans leurs créations. Prenons Don Metok, par exemple : ses chansons exaltent les vertus d’un clan à travers la beauté ou la douceur d’une femme. Le panégyrique devient alors une célébration poétique de l’être.
En quoi cet art ancestral peut-il contribuer à préserver l’identité et la mémoire collective ?
Ignorer l’histoire de son clan, c’est s’exposer à des errances identitaires. Le panégyrique n’est pas un simple énoncé : il informe sur ce que nous sommes, ce que nous devons éviter, et comment nous positionner dans la société. C’est un repère structurant qui évite bien des maladresses et qui, subtilement, façonne la conscience d’un peuple.
Quels sont les plus grands malentendus autour du panégyrique aujourd’hui ?
(Sourire) Le principal malentendu vient de son assimilation automatique au Vodoun, souvent perçu comme incompatible avec les religions importées. Beaucoup pensent qu’adhérer à une foi étrangère impose une rupture radicale avec les traditions, comme s’il fallait couper le cordon ombilical. Or, pour moi, le panégyrique relève de la culture, non du culte.
Prenez les panégyriques royaux dédiés à Béhanzin : ils relatent l’histoire, la résistance, l’héritage d’un peuple. Lorsqu’il fut rapatrié, l’hommage populaire en disait long sur la valeur mémorielle de ce panégyrique. La culture n’est pas l’ennemie de la foi : elle est sa racine.
Comment travaillez-vous à la valorisation concrète de cette tradition ?
Je réalise des capsules, j’organise des débats, je vulgarise cette parole à travers des formats accessibles. Mon ambition à long terme est de produire une œuvre qui retrace les quatre éditions de la soirée ÔDJÔ IFÈ, un événement entièrement dédié à la célébration de notre identité.
Pouvez-vous nous parler de cette soirée ?
ÔDJÔ IFÈ est un gala dédié aux panégyriques claniques. À travers mets locaux, rythmes traditionnels et une table ronde de haut niveau, nous célébrons l’amour et l’héritage culturel. Le moment phare reste le débat, qui rassemble des experts autour de thématiques profondes. C’est une expérience multisensorielle et mémorielle.
Quel accueil recevez-vous du public et des institutions ?
Globalement, le projet est salué. Certains apprécient cette manière d’associer Saint-Valentin et traditions. D’autres trouvent l’entrée onéreuse, ce que je comprends : nous autofinançons tout depuis quatre ans. Aucun soutien formel à ce jour, mais je garde espoir. La culture mérite des moyens à la hauteur de sa grandeur.
Est-ce un combat solitaire ?
Absolument pas. Des aînés ont défriché le chemin, d’autres suivront. Ce travail est collectif, intergénérationnel. Il nous incombe, à chacun, de transmettre la flamme sans l’étouffer.
Quel appel souhaitez-vous adresser à la jeunesse africaine et aux autorités ?
Les panégyriques sont des vecteurs puissants de transmission. Au même titre que la musique ou la danse, ils doivent être soutenus, documentés, diffusés. Je remercie les autorités pour des initiatives comme le Jeudi culturel, et j’espère que d’autres opportunités verront le jour. Je suis prête.
Un panégyrique qui vous touche particulièrement ?
Celui de Wegbono Gueyonou Sadonou. Il évoque mes racines, notre histoire, nos singularités. Il est mon miroir, mon repère, ma mémoire. Il m’habite.
Propos recueillis par Lumière ADJOU-MOUMOUNI