Au Bénin, dans l’imaginaire collectif, le terme « panégyrique » est souvent employé pour désigner à tort ce que les spécialistes appellent le « filon humain ». Pourtant, ces deux formes d’expression de la tradition orale béninoise diffèrent à bien des égards. Le professeur Metogbé Eustache BADOU, prêtre de l’église catholique romaine et enseignant universitaire, revient sur cette confusion persistante, et insiste sur la nécessité de préserver l’authenticité de ces éléments du patrimoine immatériel.

Alexia Lumière-Christina ADJOU-MOUMOUNI
Deux mots, deux fonctions ! Dans la langue fongbé, le panégyrique est traduit par Mlan Mlan, un discours solennel destiné à faire l’éloge d’une personne illustre, généralement un roi ou un guerrier. Il exalte les actes héroïques, les titres honorifiques et les batailles remportées, souvent dans un contexte historique. « Le panégyrique est une louange, une reconnaissance publique des mérites d’un chef ou d’un roi », explique Metogbé Eustache Badou. À l’opposé, le filon humain, ou Akô Mlan Mlan, est une narration identitaire rattachée à une lignée. Il se décline à travers des proverbes, des symboles et des noms, pour raconter l’origine, les valeurs et l’histoire d’un clan ou d’une famille. Chaque filon est spécifique à une entité, à une souche, et se transmet oralement de génération en génération.
Le filon humain va bien au-delà du simple récit. Il représente un système de transmission culturelle, une boussole sociale, et un lien entre le visible et l’invisible. C’est une mémoire vivante, qui s’adapte au fil du temps et des générations.« Le filon humain est une parole pleine de sens, toujours en évolution, et qui se renouvelle à chaque passage de témoin familial », précise l’universitaire.Des noms comme Djèto, Houègbonou, Ahouènou Agbodjito, Ahouannon, Ahinon, Ayator Ganmènou, ou Zogbanou sont autant de filons humains porteurs d’identité et de mémoire. Leur récitation ne se limite pas à un cadre cérémoniel ; elle s’intègre dans la vie quotidienne, les bénédictions, et parfois même dans les réconciliations.
Une transmission dès le berceau
Dans certaines familles, le filon humain est prononcé dès les premiers jours de la vie. Il est chuchoté à l’enfant pendant le bain, chanté lors des veillées, rappelé dans les moments clés de l’existence. « Dire à un bébé son filon humain, c’est le connecter à ses origines. C’est l’introduire dans la continuité d’une histoire collective », note le prêtre. Plus tard, cette parole peut servir de repère. Dans un foyer en difficulté, dire le filon humain, c’est comme évoquer les circonstances de la première rencontre. Ce qui peut réactiver la mémoire affective et raviver les liens.
Une culture en danger ?
À l’ère de la modernité et de la globalisation, la tradition du filon humain est en perte de vitesse. Les jeunes générations, souvent déconnectées de la langue maternelle, peinent à s’approprier ces récits riches en symboles. L’artiste musicienne Assy kiwah, dans sa chanson Houétanou, soulignait déjà l’importance de connaître son histoire, son nom et sa provenance. Un cri du cœur partagé par de nombreux acteurs culturels qui appellent à réhabiliter ces récits fondateurs. « Oublier son filon humain, c’est oublier qui l’on est », insiste Metogbé Eustache Badou. Face à la confusion fréquente entre panégyrique et filon humain, l’expert appelle à un effort pédagogique, tant dans les familles que dans les écoles et les médias. Il s’agit de reconnaître la complémentarité de ces deux formes d’expression, tout en respectant leur spécificité. « Le panégyrique est un éloge public. Le filon humain est une mémoire intime et collective. Ce sont deux trésors de notre culture qui méritent d’être distingués, valorisés et transmis », conclut l’enseignant.