Dans les rues de Cotonou et d’Abomey-Calavi, des individus multiplient les stratégies pour susciter la pitié des populations et récolter de l’argent. Avec cette manœuvre, ils finissent par trahir la confiance des bienfaiteurs et instillent le doute. En effet, derrière des visages souffrants et des récits bouleversants, se cachent parfois des intentions troublantes.
Kanfoui Grâce Eldine SOGNONNOU (Stag)

Une scène surréaliste à Togoudo ! Quelques minutes de bruits et Amélie s’éloigne tranquillement d’un atelier de coiffure aux abords de la voie pavée menant du carrefour Iita au carrefour Tankpè. La jeune dame, bébé au dos et ordonnance froissée en main, vient d’être démasquée. Une mendiante à faux besoin. Le récit des faits : Sous un soleil de plomb, Amélie fait le tour des kiosques, ateliers et services pour présenter une feuille médicale et un enfant malade. D’un ton alarmé, elle aborde les citoyens et leur explique que son enfant souffre d’une maladie rare. Elle montre le papier, désigne l’enfant, et sollicite de l’aide. « Mon fils est malade, je dois payer ces médicaments, je vous en supplie, aidez-moi », alarme-t-elle les yeux larmoyants. Mais à l’œil nu, l’enfant ne présente aucun signe de malaise. Il dort paisiblement. Aucun signe apparent de fièvre et de douleur. Un habitant du quartier affirme reconnaître Amélie. « Je l’ai rencontrée, il y a 3 jours, dans la boutique de ma cousine à Akpakpa Midombo. C’est bizarre, elle raconte la même histoire mais le bébé se porte bien », confie-t-il. Les occupants de l’atelier la renvoient et une discussion s’enchaine sur ces procédés. « Les gens n’ont pas honte. Ils se promènent avec de fausses situations pour soutirer de l’argent aux honnêtes personnes. C’est incroyable ! », affirme Tranquilin.
Amélie n’est pas seule à jouer sur l’émotion. À quelques rues de là mais à des jours différents, toujours à Togoudo, Youssouf répète un autre stratagème. Il tient une sonde urinaire visible à la ceinture. Il se plaint d’insuffisance rénale. Il raconte qu’il a besoin d’argent pour faire une dialyse. Il parle calmement, s’appuie sur sa canne, et insiste, « Je souffre, je dois aller à l’hôpital, aidez-moi avec ce que vous pouvez ». Mais là encore, certains commencent à douter. Un agent de sécurité d’une structure bancaire affirme avoir vu Youssouf dans le même état, il y a un an, sans aucun changement. « Il fait ça tout le temps. Il n’a jamais été hospitalisé ici. Il passe, il raconte son histoire, puis il repart », affirme l’agent.
Ces cas ne sont pas isolés. On retrouve de nombreuses personnes dans des situations similaires et pires qui quémandent dans les rues. Face à ces images, les citoyens réagissent différemment. Aimé Asthur Djehounkè se montre méfiant. « Je fais beaucoup attention. Je ne donne pas à tous ceux qui me demandent, par précaution ». Même face à de vrais besoins, il évoque des histoires de dons utilisés à des fins mystiques. À l’opposé, Mahoulé Faustin Houdji, lui, reste confiant. « Je ne fais pas de distinction. Je donne à tous tant que j’en ai. Tant que je le fais de bon cœur, je ne crains rien ». Ces réactions contrastées traduisent un malaise. Donner devient une interrogation. Un réflexe hésitant. Pour Dr Florentin Mensah Kokou, socio-anthropologue à l’Université d’Abomey-Calavi, il est important d’écouter sa conscience : « Nous sommes dans une société où, pour faire le bien à quelqu’un aujourd’hui, il faut beaucoup réfléchir. Il y a ce projet ritualiste qui se cache derrière la mendicité. Donc il faut que les citoyens soient réticents face aux aides à apporter aux mendiants. Ils doivent agir selon leur propre conscience, en écoutant leur cœur », fait savoir le chercheur.
Dans cette confusion, certains refusent de céder à la peur. Maxime Mahoudjro livre une leçon d’humanité. « Donner demeure un acte humain. Il ne faut rien craindre tant qu’on fait du bien », confie-t-il. Mais la réalité rattrape parfois la foi en l’autre. Il y a quelques semaines à Cotonou, un fait divers a glacé les cœurs. Un homme, qui faisait semblant d’être dans la détresse, a sollicité l’aide d’une femme et de sa fille. Il les a égorgées. Le drame a provoqué l’effroi. En conséquence, les regards ont changé. Derrière chaque main tendue, la suspicion rôde. Et la générosité, jadis naturelle, devient une décision difficile. Donner ou reculer ? La question reste ouverte.