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Luc Gnacadja : « Et si la raison d’être des Vodun Days était de nous sortir de notre Moyen Âge ? »

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Les Vodun Days ont marqué une célébration culturelle et spirituelle d’une ampleur exceptionnelle, généreusement offerte par le Bénin au monde. Avec quelque 435 000 visiteurs en trois jours à Ouidah – soit trois fois l’affluence de l’édition test de 2024 – ce succès spectaculaire transcende l’événementiel. Il m’inspire à espérer que ce rendez-vous devienne le catalyseur d’un réveil intellectuel et scientifique, ouvrant la voie à l’émergence d’une Afrique affranchie de son ‘Moyen Âge intellectuel,’ hérité de siècles d’esclavage, de colonisation, de destruction de ses savoirs et traditions et d’un mimétisme contemporain stérile. 

Héritage colonial : épistémicide et complexe d’extranéité

Les séquelles de l’esclavage puis de la colonisation en Afrique se manifestent à travers des dynamiques profondes et persistantes qui continuent de façonner notre rapport à nous-mêmes et au monde. Parmi elles, deux phénomènes majeurs se distinguent : 

1. L’épistémicide : Il s’agit de la négation, voire de la destruction systématique des savoirs locaux. Les colonisateurs ont souvent considéré les traditions africaines comme primitives ou superstitieuses, menant à la marginalisation, voire à l’éradication de riches systèmes de connaissances.

2. Le complexe d’extranéité: Cette aliénation culturelle pousse à valoriser ce qui vient de l’extérieur au détriment de nos propres racines. Les Béninois, comme la plupart des Africains, ont été conditionnés à percevoir les cultures et savoirs étrangers comme supérieurs, menant à une dévalorisation de leur propre héritage.

Ces deux phénomènes rappellent l’urgence d’une renaissance intellectuelle, scientifique et culturelle, où l’Afrique pourra réhabiliter ses savoirs et s’émanciper de l’influence d’un passé qui continue de peser sur son devenir.

Conséquences contemporaines de l’épistémicide et du complexe d’extranéité

Ces dynamiques historiques continuent de façonner la réalité africaine, laissant des traces profondes dans la perception des savoirs et dans la conscience de soi. Elles se manifestent aujourd’hui à travers deux impacts majeurs :

1.Aliénation culturelle persistante

L’épistémicide a laissé l’Afrique avec des traditions scientifiques et spirituelles souvent ignorées ou caricaturées. Par exemple, selon leurs exégètes, le Fâ est un système divinatoire complexe reposant sur des algorithmes combinatoires, destiné à révéler les forces invisibles qui influencent les événements humains et à guider les choix afin de restaurer l’harmonie entre l’individu et son environnement. Quant à la sorcellerie, elle est définie comme une science des vertus des éléments de la nature, mise en pratique pour des fins bénéfiques ou néfastes, selon l’intention de son usage. De même, les pharmacopées traditionnelles, basées sur une connaissance précise des plantes, sont souvent dévalorisées face à la médecine “moderne”, bien que de nombreux médicaments en soient dérivés.

2.Aliénation profonde de la conscience de soi

Le complexe d’extranéité a ancré l’idée que tout progrès doit venir de l’extérieur, alimentant une dépendance envers les modèles étrangers dans divers domaines (politique, économique, éducatif, scientifique) et entravant une appropriation culturelle authentique, où les savoirs locaux sont valorisés et deviennent moteurs de développement durable. 

Le Moyen Âge européen et la Renaissance : un parallèle instructif

Le Moyen Âge européen (Ve – XVe siècle) fut une période complexe, caractérisée par l’hégémonie de l’Église, la féodalité et une vision du monde dominée par la religion. Les savoirs scientifiques et philosophiques hérités de l’Antiquité gréco-romaine furent marginalisés ou assimilés au dogme chrétien, confinant la pensée dans une interprétation théologique stricte du monde.

Plusieurs facteurs ont permis de dépasser ce carcan :

1. La Renaissance (XIVe -XVIe siècle): une redécouverte des textes antiques et une exaltation de l’homme comme centre du monde.

2. La Réforme protestante : une critique de l’autorité centralisée de l’Église catholique, qui a ouvert la voie à une diversification des pensées. 

3. Les grandes découvertes: l’élargissement des horizons géographiques a favorisé une remise en question des certitudes anciennes.

4. La Révolution scientifique: avec des figures comme Galilée, Kepler et Newton, la méthode scientifique est devenue un outil central pour comprendre le monde.

Au XVIIIe siècle, ces dynamiques ont culminé avec le Siècle des Lumières, marqué par des penseurs tels que Voltaire, Rousseau et Diderot, qui prônent la raison, la science et la liberté de pensée comme outils d’émancipation.

Dans ce processus de transformation, comme le souligne l’historien et écrivain anglais Tom Holland (spécialiste de l’impact du christianisme sur la civilisation occidentale) dans ‘Dominion: The Making of the Western Mind’, l’Évangile, initialement porteur d’un message d’humilité et de fraternité, a été réinterprété pour devenir l’instrument d’une civilisation conquérante, justifiant l’expansion coloniale sous le couvert d’une “mission civilisatrice”.

Cette dialectique entre Foi et Racines nous ramène au cœur de la problématique africaine contemporaine. Elle fut également l’inspiration centrale du festival “Gospel & Racines”, initié par le président Mathieu Kérékou au début des années 2000, comme une manière symbolique de marquer notre entrée dans le 21ᵉ siècle. 

Les Vodun Days : une opportunité pour réconcilier racines et foi

Les Vodun Days pourraient devenir une excellente plateforme pour revisiter nos traditions et les envisager comme une source potentielle de modernité.

1. Racines et destination : un dialogue à construire

Il est essentiel de dépasser une vision statique des traditions pour embrasser leur perpétuel mouvement afin de les orienter vers l’avenir, en reconnaissant nos racines comme socle identitaire et culturel, tout en les dirigeant vers une finalité moderne, voire transcendante.

2.Dialectique entre Évangile et racines

Pour les chrétiens, cette réflexion devrait s’inscrire dans une dialectique féconde entre l’héritage culturel et l’Évangile, une dynamique qui appelle à une transformation tant personnelle que collective des croyants. La foi chrétienne repose sur la conviction qu’ils ont été créés en Jésus-Christ pour accomplir de bonnes œuvres, préparées d’avance par Dieu afin qu’ils les pratiquent (Éphésiens 2:10). Dans Romains 12:2, ils sont exhortés ainsi : “Laissez-vous transformer par le renouvellement de votre intelligence.” L’Évangile éclaire et transcende nos traditions, rejetant ce qui est incompatible avec ses valeurs, tout en purifiant ce qui est porteur de vie.

Dans ce contexte, une célébration comme les Vodun Days devient bien plus qu’une opportunité de se réapproprier son héritage culturel : elle constitue une invitation à transcender cet héritage, pour porter un fruit nouveau, nourri par une vie renouvelée et illuminée par l’espérance.

Vodun Days : un levier pour transcender nos racines

Les Vodun Days, en valorisant les traditions culturelles et spirituelles du Bénin, ouvrent une perspective nouvelle. Ils ne se limitent pas à la réhabilitation de notre héritage, mais posent un véritable défi : celui de transformer cet héritage en une source de dynamisme, de résilience et d’innovation pour répondre aux enjeux de notre époque.

1. Reconnaître nos racines comme point de départ

Les Vodun Days rappellent l’importance de nos traditions, souvent diabolisées par ignorance. Ils posent le défi d’accepter cet héritage sans nostalgie stérile, mais avec un regard critique et constructif.

2. Réhabiliter nos savoirs dans le présent

Pour surmonter l’épistémicide, il est urgent de documenter et valoriser les savoirs traditionnels (comme le fâ, les pharmacopées, les cosmologies vodun) dans les systèmes éducatifs et scientifiques, et d’encourager des approches interdisciplinaires où sciences modernes et traditionnelles dialoguent.

3. Aller au-delà de la célébration pour transformer

Les Vodun Days inspirent plus qu’une commémoration culturelle. Ils pourraient devenir un levier pour une réappropriation culturelle, où les traditions deviennent une force d’innovation et de résilience, et une invitation à transcender nos racines pour les réorienter vers une finalité supérieure.

4. Un modèle pour une modernité enracinée

L’Europe a su utiliser le christianisme pour bâtir une modernité conquérante. De même, l’Afrique doit s’approprier ses traditions pour bâtir une modernité enracinée et qui est capable de dialoguer avec le monde tout en conservant son authenticité.

Pour une renaissance intellectuelle, scientifique, culturelle et spirituelle en devenir

Les Vodun Days mis en chantier par le président Patrice Talon pourraient devenir le point de départ d’une renaissance intellectuelle, scientifique, culturelle et spirituelle, non seulement pour le Bénin mais pour l’Afrique tout entière. Mon vœu est qu’ils inspirent une réhabilitation de nos traditions, non pas comme des vestiges du passé, mais comme des sources de réflexion et d’innovation. Loin d’opposer nos racines à la modernité, il s’agirait de bâtir une modernité enracinée, porteuse d’un avenir authentique. Ce renouveau en devenir pourrait redéfinir notre place dans le monde en puisant dans l’immense richesse de notre héritage.

Luc GNACADJA

Président de GPS-Development

Ancien Ministre

Ancien Sous-Secrétaire Général des Nations Unies

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