
Après des études en psychologie, complétées par quelques formations en communication et en journalisme, Hasiniavo Andrianimerina RAZANAJATOVO s’est tournée vers le cinéma, un domaine qui est devenu une passion. Aujourd’hui, la jeune femme d’origine malgache est engagée comme volontaire dans une mission d’accompagnement de personnes en situation de handicap mental, une expérience dans laquelle elle cherche à s’enrichir humainement et qui nourrit autant son regard sur le monde que sa sensibilité. Tout au long de ce parcours, l’écriture a toujours été un compagnon de voyage, qu’il s’agisse d’écrire un poème, un article, une histoire ou juste canaliser ses pensées vagabondes.
Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)
Chère Sawtche,
On ne se connait pas, du moins pas suffisamment. Je ne vous connais qu’à travers quelques articles et un film et pour vous, je suis une parfaite inconnue.
Pourtant vos blessures me sont familières.
C’est sans doute pour ça que j’éprouve cet insolent besoin de vous écrire ainsi que l’indomptable envie de vous étreindre. Des gestes qui arrivent un peu tard puisque le mal est fait. Les 5 années de misère où vous avez laissé votre vie se sont écoulées, il y a 215 ans de cela. Mais ces événements laissent des traces et dessus, je voudrais laisser un peu de tendresse. C’est le moins que je puisse faire, après tout, pour témoigner ma compassion. Mais il y a aussi l’indignation que je n’ai pas su raisonner, juste parce qu’elle avait bel et bien raison de pointer le bout de son nez. Je ne peux qu’être admirative face à vos ambitions et votre courage de partir ailleurs pour trouver et saisir ce que vous jugez être le meilleur pour vous. Rares sont les femmes, et même les hommes d’ailleurs, qui ont cette audace. C’est vraiment dommage que des personnes malveillantes en aient égoïstement profité. Ils n’ont même pas fait l’effort de prononcer votre nom, mais ont préféré la facilité en vous donnant une appellation proche de leur langue. Savoir qu’on vous a promis une scène où vous pourriez montrer votre talent et briller de mille feux, mais qu’au final on vous a mis dans une cage pour un spectacle divertissant afin d’assouvir la curiosité de ces personnes qui ignorent la possibilité d’une autre existence à part la leur, m’a mis dans la rage. Et les consentements, résultats des menaces et des manipulations, j’en passe.
Que vous vous êtes réfugiée dans l’ivresse ne m’étonne point, c’est ce qui reste à faire quand on est désemparée !
Que vous ayez encore eu la force de livrer votre corps en échange de quelques sous pour survivre m’a impressionnée !
Vous savez tenir le coup. Ne pas vous laisser en paix même quand vous avez rendu l’âme (et le faire) au nom de la science est le summum de l’irrespect. Comme quoi même ceux qui détiennent la connaissance et le savoir peuvent se tromper quand ils sont dans une certitude entêtée.
J’ai écrit cette lettre dans l’intention de vous consoler, vous rappeler que vous n’êtes pas tombée dans les oubliettes mais plus j’avance, plus je me rends compte que c’est moi qui ai besoin d’être rassurée. Parce que vous savez, la terrible mentalité, cause de votre malheur, n’a pas cédé au temps et est restée chez pas mal de gens. Je n’ai pas les chiffres exacts mais ça en fait toujours trop quand on a comme but le nombre 00.
Heureusement,
Il y a des jours où la chance nous sourit et qu’on arrive à avoir le contrôle sur la manière dont cette mentalité est exprimée. Pour le reste du temps, vous nous verrez être des personnes connues uniquement pour nos chromosomes XX et pour l’eumélanine en plus de notre épiderme: “Cette femme noire”. Être femme noire, en soit, est une superbe marque de fabrique, mais malheureusement elle est souvent utilisée comme étiquette réductionniste. Ils pensent que nous sommes des produits exotiques.
J’imagine que nous les faisons penser aux saveurs exaltantes des épices: un goût à goûter.
Que les textures de nos cheveux rappellent les crinières des lions: un animal sauvage à dompter.
Que nos courbes qui ne passent jamais inaperçues évoquent en eux les dunes du désert: une terre à explorer.
Et nous voilà victimes de leur fétichisation raciale. La liste est encore longue mais voilà, les femmes noires encaissent le sexisme et le racisme, offre non disponible séparément. Cette case dans laquelle ils nous ont mis est devenue notre cage quotidienne. Nous ne pouvons plus exister ailleurs. Ils nous enferment dans leur vision, et ils décident de fermer les yeux sur tout ce qui pourrait s’y opposer. Et ça sera encore pire quand nous allons commencer à les croire. Une sorte de début de la fin: la fin des ambitions, la fin des rêves, la fin du libre arbitre, …
Faire couler l’encre est une manière de jeter l’ancre un moment avant de reprendre le large pour se repérer, se rappeler du passé, contempler le chemin traversé, apprécier les changements instaurés par ces révolutionnaires, et visualiser ce qui reste à affronter mais surtout pour respirer, et …
…vous êtes cette bouffée d’air frais !
Et Dieu sait à quel point j’en ai besoin ! Il n’est pas facile de l’admettre quand on se veut être une battante, mais auprès de vous, je peux le dire : je suis claquée! Les injustices de ce monde font que chaque jour se doit d’être une lutte. J’ai souvent cette image de mur d’escalade sans fin, dont les prises, en plus d’être rares, sont glissantes, difficiles à saisir. Or lâcher, c’est prendre le risque de se casser la gueule. Et ici, personne ne veut se casser la gueule.
Alors vous écrire, c’est aussi ma manière de me créer des prises où appuyer mes pieds et où accrocher mes mains. Vous dégagez une énergie dans laquelle je puise un inexplicable espoir que je ne cherche plus à comprendre. C’est peut-être ça l’inspiration !
Ma chère Sawtche,
Ce moment de répit que vous m’accordez me nourrit, me rappelle les pourquoi, et m’éclaircit les comment, et j’en suis sincèrement reconnaissante. Avec toute mon affection, en votre mémoire, à nos espoirs et à nos prochaines victoires.
Serrez-moi dans vos bras.
De la part d’une femme, jeune et noire comme vous, ou presque.
Andrianimerina Hasiniavo