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Charles Houedo sur les conditions d’études des étudiants handicapés du Bénin : « Les conditions actuelles font qu’ils sont obligés de se regrouper pour s’inscrire dans une même faculté »

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Dans les universités publiques du Bénin, les étudiants en situation de handicap demeurent confrontés à de sérieux défis les empêchant de poursuivre leurs rêves. Dans cette interview qu’il a accordée, Charles Houedo, actuel président de l’association des scolaires et étudiants handicapés du Bénin (Asehb), informe sur les grandes difficultés que rencontrent les étudiants, tout en reconnaissant les efforts récents de l’État béninois.

En tant que président de l’Asehb, quel est aujourd’hui l’état des lieux de la situation des étudiants en situation de handicap au Bénin ? Quelles sont les principales difficultés auxquelles ils sont confrontés ?

Monsieur le journaliste, quand c’est bon, on doit le dire. Vous savez, l’Etat fait, mais il reste encore à faire. Mais il faut saluer ce qui est fait. Nous avons bougé, mais les difficultés persistent encore. La mission de l’Asehb, c’est d’œuvrer pour l’épanouissement socio-éducatif des scolaires et des étudiants handicapés en République du Bénin. Si vous venez à l’université d’Abomey-Calavi, nous avons plusieurs types de handicaps. Nous avons les personnes handicapées auditives, les personnes handicapées physiques, les personnes handicapées visuelles. Donc chaque type de handicap a ses difficultés. Si nous prenons d’abord les personnes handicapées physiques, nous avons un problème d’accessibilité pour ce qui concerne les amphithéâtres. Parce que si vous devez assister aux cours, il faut forcément vous déplacer de la maison, des résidences, pour vous retrouver dans les amphis afin de suivre les cours. Vous allez avoir envie de suivre les cours, vous quitterez chez vous, que ce soit de la maison ou des résidences, mais arrivé au niveau de l’amphi, vous voyez qu’il vous faut prendre les escaliers. Une personne handicapée physique qui est en fauteuil roulant ou avec les béquilles, vous imaginez. C’est souvent compliqué d’accéder à la salle de cours. Parfois, vous venez, vous attendez que les camarades vous portent au dos comme un bébé. Après les cours, ils vous font la même chose et vous montez dans votre tricycle ou dans votre fauteuil roulant ou encore vous prenez vos béquilles. Souvent, vous avez honte parce que c’est vous qui sollicitez toujours l’aide des autres. Et quel genre d’aide ? : « Portez-moi au dos ». Parfois, vous venez, les camarades vous voient, murmurent « É ko lê wa min », et tout le monde fuit parce qu’on sait que vous n’êtes pas un petit pour qu’on supporte votre poids jusqu’aux amphis. Soit, vous venez, les camarades sont là mais vous disent qu’ils sont fatigués ; soit ils vous voient et vous évitent. Voilà une difficulté pour les personnes handicapées physiques.

Avec les personnes handicapées auditives, vous savez, le problème n’est pas systématiquement la compréhension avec les personnes non handicapées et surtout avec les autres types de handicap. Ce n’est pas la même réalité. Eux, ils ont surtout besoin des interprètes pour traduire en signes ce qui est dit par le professeur. Quand le cours est écrit au tableau, il n’y a pas de problème. De loin,  ces personnes peuvent facilement recopier et assimiler le cours plus tard. Mais à l’Université, il y a plus le parler que l’écrit. Ce n’est pas qu’il n’y a pas des interprètes. C’est d’ailleurs le moment de remercier le rectorat parce qu’il y a des interprètes qui sont mis à disposition pour soutenir et accompagner les étudiants handicapés auditifs. Mais ils sont en nombre insuffisant. Parfois, vous allez au cours, ils viennent. Actuellement, ils sont deux sur le terrain. Vous imaginez comment pourrait se faire la couverture lorsque cinq étudiants handicapés auditifs doivent suivre les cours dans différentes facultés à la même heure ? Cela fait que parfois les étudiants handicapés auditifs ont envie de s’inscrire dans d’autres facultés, mais les conditions actuelles sur le terrain font qu’ils sont obligés de se regrouper pour s’inscrire dans une même faculté. Alors que c’est une perte. D’abord, le rêve de l’étudiant est détruit juste à cause de la non disponibilité suffisante de la personne ressource, des interprètes. Je veux parler maintenant des personnes handicapées visuelles. Je ne vais pas m’attarder sur le problème d’accessibilité sur le campus, en rapport avec les amphis et consorts. Mais je voudrais plus mettre l’accent sur l’adaptation des épreuves. Dans certaines facultés, jusque-là, il y a certains professeurs, quand vous venez, même si vous vous rapprochez d’eux pour avoir l’autorisation d’enregistrer le cours, étant une personne handicapée visuelle, ils n’acceptent pas. Ils vous demandent de vous adapter comme les autres. Or, quand le professeur écrit, il faut quelqu’un pour lire ce qui est écrit au tableau à la personne handicapée visuelle. Et ce n’est pas toujours la même chose que la personne qui est à côté va transcrire à l’étudiant handicapé visuel. Je continue toujours.

Lors des compositions, il y a le tiers-temps. Il y a une note de service officielle pour ça. Donc, sur une épreuve d’une heure, l’étudiant handicapé a normalement 20 minutes de plus, pour certains types de handicap. Ce n’est pas toujours respecté dans nos facultés. Ça, il faut le dire. Aussi, les épreuves ne sont-elles pas adaptées. On peut demander à une personne handicapée visuelle, par exemple, de faire un tableau de trois colonnes lors des compositions. On en a subi. Alors qu’on n’a pas le matériel adapté pour pouvoir faire toutes ces choses. Donc, ce n’est pas adapté, ces épreuves. Parfois, dans certaines facultés, l’épreuve n’est même pas transcrite à la personne handicapée visuelle en écriture braille. C’est quand on distribue la copie qu’un surveillant peut lire l’épreuve à l’apprenant concerné, après avoir servi tout le monde. Si cette personne handicapée a la possibilité de recopier, elle recopie et, après cela, compose, toujours dans le même temps, parce que le tiers-temps n’est pas accordé. Ou bien, il ne recopie même pas, on lui lit les questions et puis, en même temps, sans prendre le temps pour réfléchir, il commence à répondre. Donc, voilà tant de difficultés auxquelles les étudiants handicapés sont confrontés.

Malgré ces difficultés, vous avez reconnu que des efforts sont faits. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les changements ?

D’abord, il faut remercier l’État qui, depuis 2016, a pris de fermes engagements pour l’amélioration des conditions de vie et d’études des personnes handicapées en République du Bénin. Nous avons eu la chance d’échanger à plusieurs reprises avec l’administration rectorale sur ces difficultés et à chaque fois, on essaie de trouver des pistes de solution. Je peux vous dire qu’il y a des facultés qui ont pris une note de service pour demander que le tiers-temps soit respecté lors des compositions. Je veux citer, par exemple, la Faculté du Droit et des sciences politiques où le doyen a pris une note de service, dès son arrivée, pour l’application de ces mesures lors des compositions. C’est vrai que ce n’est pas toujours respecté, mais c’est salutaire parce que la note est là. Donc, quelles que soient les années, on peut réclamer, on peut se baser sur cette note pour demander qu’on nous accorde le tiers-temps. Je vais continuer pour dire que le rectorat de l’Université d’Abomey-Calavi a mis à disposition une salle pour abriter certains équipements adaptés susceptibles de faciliter les études des personnes handicapées, notamment des personnes handicapées visuelles. C’est à travers le projet « Inclusion des étudiants handicapés dans les universités publiques », un projet qui a été financé par l’ambassade de France, que nous sommes en train de piloter depuis plus d’un an. Ce projet permet de faciliter les conditions d’études aux personnes handicapées, aux étudiants handicapés de l’Université d’Abomey-Calavi et de Parakou, notamment les étudiants handicapés visuels.

Au cours de ce projet, nous avons eu droit à des ordinateurs portatifs, des ordinateurs bureautiques. On a également eu des imprimantes Braille pour permettre aux personnes handicapées visuelles d’avoir les documents par moment en écriture Braille. Parce qu’à l’université, dans les amphithéâtres, les polycopies dominent. La personne handicapée visuelle n’a pas toujours la possibilité de lire ses polycopies parce qu’elles ne sont pas adaptées. Or, après avoir payé le document, l’apprenant peut se rendre au rectorat pour la transcription  en écriture Braille. Il faut remercier toujours le rectorat parce que nous avons désormais le centre de recherche et d’accompagnement pédagogique qui est opérationnel. Donc, nous avons besoin que les bâtiments soient plus ou moins accessibles pour permettre à nos étudiants handicapés d’aller aux cours sans difficulté, surtout les étudiants handicapés physiques. Nous avons besoin d’interprètes en nombre suffisant. Actuellement, il en existe, mais pas en nombre suffisant. Donc, si l’État peut nous aider à recruter encore d’autres interprètes pour pouvoir vraiment couvrir le terrain, ça nous aiderait beaucoup, on sera vraiment contents. Il y a aussi les épreuves qui doivent être transcrites.

Qu’auriez-vous recommandé aux autorités si vous en aviez l’occasion ?

Nous allons demander que l’État puisse vraiment avoir un œil sur cette structure pour qu’en réalité, sa présence puisse nous aider, même si ce n’est pas pour conjuguer définitivement les difficultés sur le plan académique au passé. Mais qu’on puisse respirer un tant soit peu sur tout ce qui concerne les difficultés des étudiants handicapés sur le plan académique. Nous demanderons surtout qu’il y ait des équipements pour tous les types de handicap. Si l’Etat pourrait former plus d’interprètes ou en recruter plusieurs au profit des étudiants ayant ce besoin, ce serait aussi d’une grande aide. Je ne vais pas finir sans remercier les autorités rectorales pour tout ce qu’elles font pour l’amélioration des conditions d’études des étudiants handicapés à l’Université d’Abomey-Calavi, même à l’Université de Parakou. Puisque nous nous rapprochons des autorités pour savoir ce qui marche ou pas. Je veux également remercier Madame la ministre des Affaires Sociales et de la Microfinance pour ses luttes, ses œuvres, pour que nous ayons une inclusion réelle en République du Bénin.

Propos recueillis par Michèl GUEDENON

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