En tant qu’économiste, quels sont les facteurs endogènes qui expliquent la cherté de la vie ?
La cherté de la vie au Bénin peut être attribuée à plusieurs facteurs endogènes qui se combinent et se renforcent mutuellement. La première composante majeure est la productivité agricole faible –malgré une augmentation de près de 19,2% de la production céréalière par exemple entre 2022 et 2023 selon INSTAD– liée à un niveau encore faible d’investissement en infrastructures modernes, des pratiques agricoles encore majoritairement traditionnelles, et un accès limité aux intrants de qualité. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), ≪le niveau de productivité agricole est resté obstinément faible au fil du temps et ne permet pas de produire, sur le plan national, tous les aliments dont la population a besoin. Par exemple, le rendement du riz, une des céréales les plus consommées au Bénin, est resté autour de 2,5 tonnes à l’hectare alors que les résultats de recherche prévoient un rendement potentiel de 8 tonnes à l’hectare≫, en partie à cause du manque d’investissement dans les infrastructures et de l’accès restreint aux technologies modernes, y compris les semences. L’efficacité dans la production vivrière est réduite par une insuffisance de systèmes de stockage et de transformation, provoquant ainsi une forte variabilité des prix selon les saisons. Cela n’est pas lié à un gouvernement particulier, de sorte que malgré les avancées actuelles, le retard pris prendra du temps à être comblé. Cela me rappelle une blague du président Reagan, et je paraphrase, faire d’une étable de vaches une écurie de chevaux requiert du temps, de l’abnégation pour vider la litière. Il prendra l’effort constant et accéléré des gouvernements successifs pour accroître la productivité durablement, développer les infrastructures et les technologies nécessaires.
Ensuite, il y a les problèmes de distribution et de logistique internes. La faiblesse du réseau de transport, notamment agricole, engendre des coûts élevés de distribution qui se répercutent sur les consommateurs. Selon, certaines estimations de la banque Mondiale, le coût de transport en Afrique frôle parfois les 50% du prix des produits alimentaires. Quand vous ajoutez l’impact des coûts d’énergie qui entrent directement dans les coûts de transport, mais aussi de production– car le manque d’accès à une énergie abordable et fiable limite la capacité des entreprises à produire à moindre coût et augmente les charges supportées par les ménages– vous avez un tableau de renchérissement des prix.
Un facteur non négligeable est lié à la structure du marché et à la faiblesse du secteur formel. Beaucoup de transactions se font dans l’informel, rendant la régulation des prix difficile et limitant l’efficacité des politiques publiques visant à atténuer la hausse des coûts. Enfin, la dépendance aux importations pour certains produits de consommation expose le pays à des fluctuations de prix extérieurs, ce qui aggrave la cherté de la vie pour les consommateurs locaux.
Que dire des facteurs exogènes ?
Les facteurs exogènes ont également un impact profond. La hausse générale des prix sur les marchés internationaux, notamment ceux des produits alimentaires et de l’énergie, affecte directement l’économie béninoise. Selon la FAO, les prix alimentaires mondiaux ont connu une augmentation significative avec une variation de l’inflation du prix alimentaire mondial de 6,3% en 2020 et 6,8% en 2021. Par ailleurs, le conflit russo-ukrainien a entraîné une flambée des coûts du blé, des céréales et des engrais, affectant indirectement les coûts de production locaux.
De plus, les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, causées par la crise sanitaire liée à la COVID-19, ont créé des ruptures de stock, augmentant ainsi les prix des biens importés. Par exemple, selon le FMI, le coût d’expédition d’un conteneur sur les routes commerciales transocéaniques mondiales a été multiplié par sept au cours des 18 mois suivant mars 2020. Selon la même étude, les coûts d’expédition constituent un facteur important de l’inflation dans le monde : lorsque les taux de fret doublent, l’inflation augmente d’environ 0,7 point de pourcentage. L’étude suggère que l’augmentation des coûts d’expédition observée en 2021 aurait augmenté l’inflation mondiale d’approximativement 1,5 point de pourcentage en 2022. L’inflation importée est également un facteur significatif. En tant qu’économie dépendante des importations pour des produits essentiels, le Bénin subit directement les répercussions des taux de change et des augmentations des prix mondiaux. La politique monétaire de la BCEAO, bien que prudente et stabilisante pour les prix, n’a qu’une marge de manœuvre limitée pour influer sur ces dynamiques exogènes. Cela place le pays dans une position de vulnérabilité face aux chocs extérieurs, que les politiques budgétaires peuvent peiner à absorber.
En nous attardant sur les produits vivriers, quelles facilités peuvent accorder les pouvoirs publics aux producteurs pour soulager les ménages ?
Pour améliorer la situation des producteurs vivriers et par ricochet soulager les ménages, les pouvoirs publics pourraient considérer plusieurs pistes. Premièrement, il est crucial de renforcer l’accès aux intrants agricoles, notamment vivriers, à travers des subventions ciblées et une meilleure distribution. Cela inclut les semences, les engrais et l’accès à la mécanisation. Deuxièmement, des investissements dans les infrastructures de stockage et de transport pourraient aider à réduire le gaspillage post-récolte, qui est actuellement très élevé.
Quand on considère les cinq besoins fondamentaux, peut-on estimer que le Béninois moyen parvient à les satisfaire aisément ?
Malheureusement, les données montrent que le Béninois moyen peine à satisfaire ces cinq besoins fondamentaux, particulièrement l’alimentation. Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), ≪l’insécurité alimentaire demeure élevée. D’après les dernières estimations en date fondées sur le Cadre harmonisé, 547 422 Béninois et Béninoises sont en situation d’insécurité alimentaire grave (phase 3 ou 4 du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire). Près de 83 pour cent des ménages n’ont pas les moyens de s’alimenter sainement.≫ Les efforts de scolarisation et de santé, bien que louables, restent confrontés à des insuffisances de financement et de gestion. Selon l’UNICEF, seulement 73 % des enfants achèvent le cycle primaire, illustrant les défis liés à l’accès à une éducation de qualité.
Pourquoi en dépit des cantines scolaires, l’assurance maladie pour les pauvres extrêmes, les microcrédits… les populations peinent toujours à joindre les deux bouts ?
Selon le PAM, le gouvernement à travers le programme cantine scolaire qui ≪couvre actuellement 75 pour cent des écoles primaires publiques≫, s’est engagé ≪à étendre ce programme à tous les établissements primaires, et a déjà prévu de lui allouer plus de 200 millions de dollars sur un cycle de cinq ans≫. Ceci devrait améliorer la situation des scolarisés et des enfants en général. Quant aux microcrédits, ils sont souvent octroyés à des taux d’intérêt qui, bien que relativement bas, restent difficiles à supporter pour des activités peu rentables ou à faible valeur ajoutée. En outre, l’assurance maladie reste sous-utilisée en raison de barrières d’accès administratives et d’un manque de sensibilisation. Le Gouvernement s’attèle depuis peu à travers les options sociales des budgets de l’État récents, en investissant massivement pour inverser ces tendances et accélérer l’impact de ces programmes au profit des populations.
Le Bénin a une bonne réputation sur la scène de la finance internationale comme le montrent les multiples prêts et les appréciations positives des agences de notation et du FMI. Pourquoi malgré tout ça, la galère est toujours aussi persistante ?
La bonne réputation du Bénin sur la scène internationale reflète surtout la solidité de sa politique macroéconomique et sa gestion prudente des finances publiques. Cela permet au pays d’attirer des investissements et d’obtenir des conditions de financement favorables. Selon la Banque Mondiale, ≪la croissance est restée robuste en 2023 et au cours des deux premiers trimestres de 2024, soutenue par une production industrielle et agricole dynamique, ainsi qu’une résilience dans les services. La même source indique que l’activité économique a progressé de 6,3 % et 6,6 % respectivement au premier et au deuxième trimestre de 2024≫, ce qui est impressionnant par rapport à la moyenne de la région. Il existe néanmoins toujours un délai entre le moment des investissements et les impacts microéconomiques. Les infrastructures financées par les prêts sont essentielles pour le long terme, mais leur impact sur la pauvreté et le coût de la vie n’est souvent pas immédiat. Le défi réside dans la capacité des politiques publiques à transformer ces opportunités macroéconomiques en progrès concrets pour les citoyens.
Que faire à l’échelle des gouvernants pour remonter la pente ?
Pour remonter la pente, il est nécessaire de renforcer l’agriculture et les chaînes de valeur locales pour réduire la dépendance aux importations, ce qui permettrait d’atténuer l’inflation importée. Le gouvernement devrait aussi mettre en place des programmes de soutien ciblés à destination des groupes les plus vulnérables, tels que des subventions directes ou des transferts monétaires conditionnels, afin d’atténuer l’impact immédiat de la cherté de la vie. Il faudrait utiliser les canevas et de chaînes de commande qui accélèrent l’impact des programmes sociaux.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU