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VOIX DE FEMME – Rosalie Baké Zalikath KOROGONÉ : Son gombia tambourine avec fierté

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Le gom (tambourin) chéri par son cœur et jalousement serré par son bras gauche, un être avance avec assurance: il est griot de naissance et par son père. Avec ou sans lunettes, face au soleil ou enveloppé par la nuit, à un baptême ou à une fête impériale, son visage se reconnaît au milieu des autres traits, tous masculins desquels il se distingue: ce griot est une femme. Qu’elle revête l’espoir de sa couleur phare, le vert ou la sagesse et l’humilité de la couleur marron qui évoque la terre de ses ancêtres, la Barakarakou reste la même : son gombia (tige tambourinant) tambourine avec fierté.

Rosalie Baké KOROGONÉ

Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)

Une femme, Griot !? Oui !
Griot comme titre honorifique ? Non !
Griot n’est pas son passe-temps ! Griot est son identité et un art qu’elle a choisi librement de pratiquer. De sang griotique, elle est la 2ème femme de sa famille à le faire mais elle ne se contente pas de tambouriner par moment. Elle va plus loin que la sœur de son grand-père: elle pratique comme les hommes.

A PIED ET AU PAS !

7 km à l’allée et 8 km au retour ! C’est le parcours que fait la griote devant le cortège de l’Empereur à la Gaani sans faillir, sourire aux lèvres et très investie. Elle et les griots de sa caste (Barakarakou, 3ème caste de griots) ne sont pas à cheval: ils avancent à pied. Et pourtant ! En tenue de fête, la griote ne laisse pas la lourdeur du pagne tissé ralentir ses pas. Pas sûr que ce soient les sabots engagés des chevaux derrière elle qui fassent mouvoir si énergiquement la griote de plus de 63 balais ! Position debout et endurance lui sont familières dans cette circonstance et dans bien d’autres.

« Je suis une vieille très gaie et dynamique » affirme t-elle, un croissant de lune généreux aux lèvres et le regard luisant de sympathie. Même si elle finit par décliner son identité, il faut savoir que l’exercice n’est pas toujours simple pour elle. Complexe ou timidité ? Ni l’un, ni l’autre ! Bien que sa modestie l’amène à se présenter comme ménagère, Rosalie Baké Korogoné aussi connue comme Zalicath Alladji Boni n’a rien d’une rombière écervelée : elle est animatrice – coordinatrice de projet et consultante indépendante.

Marquée par son passage dans les contrées de Bembèrèkè et de Sinandé en tant qu’animatrice- modératrice-modèle dans le milieu Baatonu pour la promotion de la scolarité des filles, cette expérience professionnelle lui énormément plu car elle compte aujourd’hui encore et avec aisance les bons résultats. Lorsque cette satisfaction ou la joie profonde la visite, c’est sur la danse Tèkè qu’elle bouge son corps quand elle ne savoure pas de la bouillie et du lait.

Proche des communautés à la base par son expérience d’agent de développement communautaire à Nikki – Pèrèrè – Kalalé – Sinandé – N’dali, elle a pu les former à mieux utiliser les infrastructures construites pour elles. Aussi a-t-elle œuvré par le projet DroFF (Droit des filles et des femmes) à l’autonomisation de la gent féminine. Récemment, elle a coopéré avec la GIZ au renforcement de capacités des femmes transformatrices du karité en beurre.

Engagée pour l’éducation, celle qui aurait pu être médecin pédiatre coordonne les associations des parents d’élèves du Borgou-Alibori. Toutes ses casquettes n’ont pas étouffé en elle son aspiration profonde. A l’instar de l’arbre du « Gouverneur » qui fructifie toute l’année quand il est bien arrosé, Rosalie estime avoir été beaucoup portée par la bienveillance masculine et se fait le devoir d’apporter de son eau « par la formation » pour arroser d’autres jeunes filles pour qu’elles produisent de bons fruits.

L’ART GRIOTIQUE ET ELLE

Rosalie Baké KOROGONÉ

Femme de conviction, elle a grandi auprès de son frère, professeur certifié de lettres, un intellectuel qui a toujours été fier de dire à qui veut l’entendre : « Je suis griot ». Elle a toujours voulu lui ressembler, comme à leur père, cadre de l’administration coloniale, lui aussi très fier d’être griot. Il a toujours soutenu l’envie de sa fille Rosalie de pratiquer l’art griotique même si elle n’a commencé qu’après sa mort.

Se remémorant leur soutien inconditionnel, la voix de la griote tremble d’emotion quand elle parle de ses modèles et en particulier de son frère aîné Yérima (« le fils aîné » en Bariba) Prosper Korogoné, décédé en 2021 à 72 ans. Pourrait-elle oublier ce jour de septembre 2013, où il la fit venir dans l’école qu’il a fondé (Complexe scolaire Socrate) ?

« Petite sœur, descend ce tambourin ! Le veux-tu ? Vas-tu en jouer ? Ton mari va-t-il l’accepter ? » Elle répondit OUI à toutes les questions sauf à la dernière : « Je ne sais pas », avait-t-elle répondu. « Rentre à la maison avec ! » lui dit son frère avant de poursuivre: « Si ton mari n’en veut dans sa chambre, ramène le moi. Je vous raccompagnerai tous les deux à lui. Mais je suis sûr qu’il ne te dira pas NON : il acceptera ».
Rosalie Baké Korogoné fit comme lui avait dit son frère et rentra avec le tambourin à la maison. Au retour de son mari, elle le lui présenta en ces mots: « voici ce que m’a donné mon frère aîné ». Son époux lui répondit : « C’est un très beau cadeau. Que les mânes de vos ancêtres t’assistent »!

Depuis lors, son époux n’a cessé de l’encourager. « Même à la Mecque, ils ont leurs griots. Si ça ne te gêne pas de jouer, ça ne me gêne pas aussi », a t-il rassuré sa femme au retour de celle-ci de la Mecque en 2015. Cette année-là l’a vu résolue à pratiquer l’art griotique alors qu’elle avait dépassé 50 ans d’existence terrestre.

C’est ainsi que Mohamed Sabi Dakara devint son entraîneur. A cet âge, la facilité avec laquelle elle assimilait les cours de son coach comparé à ceux du Master en Gestion des projets pour lequel elle s’était inscrite l’a rassuré : elle ne s’était pas trompée de voie. Ses ancêtres ont béni son choix et elle y est à l’aise comme dans un bon Bohounba (tenue africaine). Reconnaissante à son entraîneur, elle ne manque pas d’occasion de saluer la grandeur d’esprit de celui qui lui a cédé son savoir sans réserve et l’a tout de même autorisé à apprendre aussi d’autres maîtres.

Femme déterminée, elle surmonte les contraintes liées aux multiples voyages et aux conditions de séjour. Soutenue dès le départ par sa famille, le qu’en dira-t-on, l’hypocrisie des uns ou les combines des autres ne la préoccupent guère. Une cause supérieure étreint son cœur: contribuer à faire vivre et perpétuer l’art griotique.

Elle s’inquiète car la pratique de l’art griotique se meurt dans le Borgou-Alibori. « Les gens ne veulent plus pratiquer », se désole t-elle ! En raison des hautes études ? Du statut de cadre ? De la religion ? La griote s’interroge et ne sait quoi répondre. Avec son coach Mohamed Sabi Dakara, elle est déjà engagée pour l’enseignement de l’art griotique aux plus jeunes. Assoiffée de savoir, elle continue de se former elle-même notamment à l’art oratoire. Sa voix s’égaye à l’idée de voir d’autres griotes de naissance emboîter le pas à des femmes comme elle et Amina Mako.

FIDÈLE A SES VALEURS

Originaire de Banikoara, commune du département de l’Alibori au Bénin, la griote Barakarakou a sa définition de l’humilité: aller à la rencontre des autres, apprendre d’eux – pour pratiquer son art. Dans son intime conviction, tendre la main en tant que griot n’est pas synonyme de quémander, c’est faire le geste qu’il faut en premier pour honorer le cadeau de son prince. C’est célébrer l’autre pour ce qu’il est de royal et non pour ce qu’il a. C’est simplement assumer son identité griotique.

Cela dit, la sexagénaire n’est pas dupe. Quand dans le regard des compairs griots, il peut y avoir des balances qui pèsent et comparent les cadeaux, elle sait que les problèmes ne sont pas loin. La Kayessi de 2017 s’en souvient. Heureusement, celle qui aime se faire appeler Batabou (« la plus petite des griots » en Bariba) a du savoir vivre: elle sait regarder quand il faut voir, sait fermer les yeux quand il ne faut pas voir surtout quand elle suit ses maîtres. Là n’est pas le plus dur car ici, la tâche du griot n’est pas mince. Elle est même colossale pour cette Baatonu qui doit se cultiver et connaître l’histoire de tout le monde (les familles royales) alors que dans d’autres pays, chaque famille a son griot.

Toutefois, rien n’entame la force de sa volonté. Son vœu le plus cher: satisfaire chaque wassangari dans sa manière de le louer et de raconter son histoire. Ambitieuse, elle rêve de transposer la sève de son art dans du slam et de le polir afin de le faire bien accueillir dans les cercles hautement institutionnels, les cercles de pouvoir et de le mettre au service de la médiation nationale. Le défi pour son art sera de se moderniser sans se déconnecter des sources.

Édifiée par son cursus scolaire et universitaire entre le Nord et le Sud du Bénin, Porto-Novo a une place spéciale dans son cœur : elle sait que tous les êtres humains sont les mêmes. Comme du jasmin, elle souhaite répandre le bon parfum de son art comme un instrument de paix. Alors, faudra t-il tendre l’oreille et l’écouter quand votre route croisera la sienne: son tambourin est épris de fierté et émet des notes de paix.

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