La conférence nationale des Forces vives de février 1990 fut une réussite mémorable. Un concours de circonstances heureuses a transfiguré la rencontre. Initiée pour réconcilier les fils et filles du Bénin en vue de remettre à flots le pouvoir décadent de Mathieu Kérékou, elle s’est muée en une entreprise de sabordage et de liquidation du régime militaro-marxiste d’une part, et en une Assemblée constituante qui a posé les bases d’un Renouveau démocratique qui projette le Bénin dans un avenir de multipartisme intégral, de liberté d’expression et de libéralisme économique. Ce beau projet n’attendait plus que d’être traduit dans les faits. À se concrétiser dans nos mœurs politiques.
Trente-cinq années de jouissance
Si l’architecture de cette nouvelle République est assez séduisante sur le papier, sa réalisation, depuis trente-cinq ans, est assez laborieuse. Loin du franc succès de la conférence qui, en dix jours, l’a construit.
Parce que les hommes n’ont pas changé. Seule la couleur de leur veste qu’ils ont su retourner, a changé. On a pu penser que le fait d’inscrire des textes normatifs dans des documents, suffisait à changer les mœurs et à transformer les hommes. Que nenni ! Sous le prétexte de la démocratie, on a abusé de la liberté. L’incivisme est devenu la règle. Incivisme professionnel, syndical, budgétaire, fiscal, politique, partisan, patriotique… le clientélisme et l’affairisme se sont installés, dans l’indiscipline généralisée. L’irresponsabilité individuelle et collective à pris racine et la corruption s’est installée dans l’administration, dans la gestion des projets, dans les marchés publics… et dans la politique.
La négation des valeurs
Il en découle que depuis trente-cinq ans, nous ne nous sommes véritablement préoccupés que des aspects jouissifs de la Démocratie. Jouissances des avantages et des privilèges. L’argent a coulé en abondance. Principalement par la fraude et en toute impunité. Quant à l’équité et la justice sociale, elles n’ont jamais existé que dans les archives du PLM Aledjo. Bref, on a végété dans la négation de toutes les valeurs qui fondent une belle et bonne démocratie. Pour faire simple, un ancien chef d’Etat a baptisé ce curieux système politique du nom de “Démocratie Nescafé”. Son successeur a considéré que nous avions “un passé honteux”. Par des pratiques qui vident les caisses de l’État qui s’appauvrit et s’endette sans résultat, pendant que des individus prospèrent au-delà de l’imaginable. Qui, mieux que ceux qui ont eu le privilège d’exercer les hautes charges de Président de la République, peut valablement témoigner de nos tares ?
Une évaluation s’impose
Voilà un aperçu de ce que nous avons fait des résolutions et recommandations de la conférence nationale. Ne serait-il pas temps de marquer un arrêt pour évaluer le chemin parcouru, sans faux fuyant et à l’aune de nos inchangeables réalités ? Peut-être qu’alors nous prendrons conscience de ce que nous nous sommes éloignés de l’idéal et que nous chantions, que nous dansions, que nous marchions et que nous nous complaisions dans des illusions. Parce qu’une partie du monde qui y a intérêt, nous aidait à entretenir les illusions d’une démocratie électorale, faite de marchandages, de corruption massive et de compromissions corrosives. Et donc, que le renouveau démocratique projeté en 1990 est encore pratiquement à l’étape de maquette.
Anicet OKE