Depuis plus de 15 ans, en partenariat avec l’Université de Toulouse, l’Université d’Abomey-Calavi forme, via son Master en Océanographie et Applications, une nouvelle génération d’océanographes au service de la recherche, des Etats et des entreprises à travers le monde. Aujourd’hui, ce programme est en quête de nouveaux financements pour continuer à offrir une formation gratuite et de qualité à l’élite de demain, dans les sciences de l’océan, de l’atmosphère et du climat.
Fulbert ADJIMEHOSSOU (Coll)
Embarcadère de la Direction de la Production Halieutique dans le chenal de Cotonou, au voisinage du nouveau pont. Il est 7h00. « C’est l’heure, on démarre », annonce Dr Victor Okpéitcha, océanographe, chargé de conduire la campagne de collecte de données, dans le cadre de l’École de terrain du Master international en océanographie et applications. Sur les eaux calmes du plus grand plan d’eau du Bénin, la barque glisse avec à son bord des étudiants de nationalités béninoise, camerounaise et française.
En formation dans ce programme, hébergés à la Chaire Internationale en Physique Mathématique et Applications (Cipma-Chaire Unesco), ils participent à un jeu de rôle immersif où ils s’apprêtent à recueillir des données environnementales sur le lac Nokoué pour évaluer l’impact de récents aménagements hydrauliques fictifs, tels que la construction d’un barrage sur le fleuve Ouémé et d’une écluse sur le chenal de Cotonou. Ce scénario, imaginé par leurs encadrants, permet aux étudiants de se confronter à des situations réalistes tout en développant leurs compétences en collecte et analyse de données.
Si l’exercice est fictif, il est pris très au sérieux. « Huit étudiants sont répartis en binômes. Un groupe travaille sur les matières en suspension dans l’eau et la turbidité, un autre analyse la variation du pH et de l’oxygène dissous. Un troisième étudie la température et la salinité, tandis que le dernier groupe observe les variations du niveau d’eau dans le lac », explique Victor Okpéitcha.
Diplômé de la deuxième promotion de ce master international en 2010, c’est un honneur pour lui de former aujourd’hui une nouvelle promotion, aux côtés d’Alexis Chaigneau, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Sur le terrain, Victor observe attentivement les gestes des étudiants.
« Ils sont en master, et bientôt, ils seront des experts. L’objectif est de les confronter à une situation réelle, comme lors d’une véritable mission scientifique. Chacun joue un rôle bien défini à bord, mais toutes les deux heures et après chaque série de 4 stations hydrographiques, les rôles sont échangés. Ainsi, un chef de bord qui gère le GPS, la navigation et le déroulement des opérations à bord peut se retrouver à manipuler la sonde multiparamètre ou un autre instrument, permettant à chacun d’acquérir une maîtrise complète d’une campagne de terrain », souligne-t-il.
Prélever, analyser, modéliser
Avec des capteurs et des sondes, les étudiants collectent des données essentielles : température, salinité, oxygène dissous, pH… Des paramètres clés pour comprendre l’évolution du lac et anticiper les effets des interventions humaines sur cet écosystème fragile. « Cette sonde CTD nous permet de récupérer des données sur la température et la salinité entre la surface et le fond du lac », explique Alice Granjou, étudiante française.
Lyne Joëlle Kamga Tetsopguim, étudiante camerounaise, mesure quant à elle les paramètres physico-chimiques avec une sonde multiparamètre. « Ces mesures nous aideront à mieux comprendre l’impact des aménagements récents par rapport à l’état antérieur. C’est un travail de précision qui nous prépare aux défis environnementaux futurs dans les milieux côtiers », affirme-t-elle.
De retour à l’Institut de Recherche Halieutique et Océanologique du Bénin, place à l’analyse. Grâce à des outils numériques, les données collectées sont visualisées et modélisées. « J’ai découvert et appris énormément de choses », confie Barnabas, étudiant béninois. Chaque binôme présente ses résultats, qui sont ensuite analysés et critiqués pour permettre aux étudiants de s’améliorer. « Nous leur montrons qu’ils peuvent affiner leur travail, aller plus loin, et ainsi développer leur esprit critique scientifique », déclare Dr Okpéitcha.
Former les experts de demain
En 15 ans, ce programme de master a formé 150 étudiants venant de 9 pays:Bénin, Togo, Nigéria, Côte d’Ivoire, Ghana, Cameroun, Sénégal, Congo et France. “Plus de la moitié des diplômés ont poursuivi leurs études en doctorat dans des institutions de renom à travers quatre continents. « Plusieurs anciens étudiants travaillent aujourd’hui à la NASA aux Etats Unis, à Météo-France ou dans de grandes institutions de recherche et du secteur privé en Europe et en Afrique », souligne Odette Ateyiho, chargée de partenariat et de mentorat du master.
Mais l’avenir du programme repose sur l’obtention de nouveaux financements. « Certains de nos partenaires devront se retirer d’ici 2026. Nous travaillons activement pour mobiliser de nouveaux financements afin de maintenir cette dynamique d’excellence et continuer à offrir des opportunités aux étudiants africains », insiste Odette.
En attendant, la promotion actuelle poursuit sa formation. Prochaine étape : des stages de 5 ou 6 mois en entreprise ou en laboratoire de recherche, en Afrique comme en Europe, avant la soutenance finale. L’appel à candidatures pour la prochaine promotion sera lancé dans quelques semaines, avec l’objectif de détecter de nouveaux talents dans les sciences de l’océan, de l’atmosphère et du climat.
