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35ème anniversaire de la Conférence des Forces Vives de la Nation : l’heure de requestionner les acquis ?

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Une réflexion de David SOHOU, Juriste expert des Droits humains – Démocratie Spécialiste des Politiques Publiques

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Nul peuple ne saurait être perpétuellement assujetti à un régime de coercition ou de dictature. Tôt ou tard, il reprendra le contrôle de son destin, rejetant l’arbitraire et la tyrannie. L’histoire enseigne que les peuples, aspirant à la liberté et à la justice, finissent toujours par triompher de l’oppression.

Ce postulat fait écho dans l’histoire politique du Bénin, notamment au lendemain des évènements ayant conduit à la Conférence Nationale des Forces Vives, dont l’acte final a surpassé les attentes. Initialement perçue comme un « bric à brac que redoutaient certains », cette conférence s’est révélée « être un bricolage de génie »1, posant ainsi « les fondements d’une nouvelle société de démocratie, de libertés et d’État de Droit : pas de goulag, pas d’échafaud, pas d’exil. »2

En effet, en des temps de crise, l’inertie ne saurait être une option. Il est impératif d’initier une rupture avec le passé, de rebâtir les fondements et d’envisager l’avenir avec détermination. Cette démarche passe nécessairement par la mise en œuvre de mesures concrètes et immédiates, prélude à un futur plus prometteur.

C’est dans cette dynamique que s’est inscrite la Conférence Nationale, tenue du 19 au 28 février 1990, qui a marqué un tournant majeur dans l’histoire politique du Bénin faisant table rase d’un passé sombre plutôt que honteux.

Cette rencontre, loin de toute compromission, a posé les bases d’un nouveau paradigme politique. Elle a ainsi confirmé que les régimes dictatoriaux sont par essence voués à

1 Frédéric Joël Aïvo, La Constitution de la République du Bénin : la constitution de tous les records en Afrique,

Les éditions universitaires, Cotonou, 2018, p. 12.

2 Robert Dossou, L’audace, la vérité et l’espérance, la Conférence Nationale : ce que j’en ai dit en trente an,

Ruisseaux d’Afrique, Cotonou 2020, p. 21.

disparaître, instaurant la démocratie fondée sur le multipartisme. De surcroît, elle a consacré l’irruption de la société civile, et plus largement du peuple, sur la scène politique, marquant une évolution dans la gouvernance de l’Etat3.

Telles des pièces mécaniques essentielles au fonctionnement de l’Etat, les acquis de la Conférence Nationale se sont pérennisés dans le temps, s’inscrivant durablement dans la conscience collective depuis des décennies.

Devenus des principes fondamentaux de l’ordre juridique, ces acquis font l’objet d’une protection constitutionnelle renforcée, érigeant des balises infranchissables contre toute tentative de remise en cause. Et pourtant, 35 printemps, c’est l’âge des questionnements. C’est surtout l’âge parfait des remises en cause et du tirage des conséquences dépassionnées.

Dans cette perspective, un 35ème anniversaire de cet évènement historique offre une opportunité propice pour (ré)interroger la conscience collective, sinon celle intellectuelle, sur l’actualité des acquis de la conférence.

Une actualité qui ne se limite pas à être perçue sous le prisme d’une chose « à jour » mais qui s’étend à sa pertinence et son opportunité sous notre décennie.

C’est dans cette optique qu’il nous sied de nous demander si après 35 anniversaires, l’heure ne serait pas venue de (re)questionner (mettre à débat et formuler de nouveaux standards ou attentes systémiques) les acquis tant choyés et prêchés de la Conférence des Forces Vives de la Nation.

Il est loisible pour tout observateur attentif de la scène politique béninoise, et a fortiori pour tout spécialiste des questions politiques et démocratiques, de reconnaître la vertu thérapeutique et l’attractivité des acquis de la Conférence nationale. Cependant, comme toute œuvre humaine sujette à l’épreuve du temps, les acquis de la Conférence Nationale n’ont pas pu échapper à l’usure temporelle.

Bien que marqués par le sceau des balises constitutionnelles, ces acquis ont subi des adaptations successives, dictées par les impératifs de chaque époque et les besoins des gouvernements qui se sont succédé. Cet état de fait suscite une préoccupation fondamentale : Les acquis de la Conférence Nationale, considérés per se, sont-ils

3 Frédéric Joël Aïvo, op.cit., p. 13

toujours suffisants pour assurer la pérennité de la nouvelle société instaurée, sinon désirée ?

Les acquis de la Conférence Nationale constituent le socle sur lequel repose la stabilité institutionnelle, la résilience aux contraintes et la garantie des droits fondamentaux. Considérés par certains comme immuables, intouchables et faisant l’objet d’un attachement conservatoire, ces acquis n’ont cessé de susciter un intérêt doctrinal quant à leur pertinence dans le fonctionnement de l’Etat.

Ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, et afin d’explorer les méandres de la présente réflexion, il nous semble l’heure de questionner les acquis institutionnels (I) et, ensuite les valeurs démocratiques substantielles, mieux substantives (II) face aux impératifs du temps présent, sans pour autant viser à une conclusion mais plutôt initier un débat approfondi.

I-   L’heure évidente de questionner les acquis institutionnels

Selon le Professeur Frédéric Joël Aïvo, « le principal legs de la Conférence reste la Constitution du 11 décembre 1990. Elle en a insufflé l’esprit et conçu le socle. »4 Cette Constitution, fruit d’un pugilat intellectuel et d’une précision chirurgicale juridique lors de la Conférence Nationale, a permis l’avènement d’un Bénin jadis célébré (sinon toujours) pour sa vitalité démocratique sur l’échiquier régional et international. À en croire Pierre Mendès « gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix » et au préalable, selon Mathieu Caron, « gouverner, c’est s’organiser car l’exercice de l’Etat ne s’improvise pas »5, la nouvelle Constitution a institué un édifice institutionnel conçu pour conduire le pays vers la terre promise envisagée par les artisans de la Conférence Nationale. Cette Constitution a relégué aux oubliettes de l’histoire l’édifice institutionnel dystopique de la période révolutionnaire qui hantait la conscience individuelle et collective, et a simultanément suscité l’émergence d’un nouvel édifice institutionnel démocratique.

L’édifice institutionnel fondé sur les principes démocratiques et reposant sur la séparation des pouvoirs, a institué les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, chacun d’eux exercé par des organes distincts, afin de prévenir le retour de l’autoritarisme. La répartition de ces pouvoirs dans des sphères respectives, sans interférence ni subordination, constitue le choix des artisans de la Conférence Nationale, répondant ainsi aux impératifs de l’époque.

Circonscrits à des missions précisément définies, ces institutions ont contribué au fonctionnement harmonieux de l’Etat et ont participé à la consolidation de la jeune démocratie. L’analyse des attributions conférées à chaque pouvoir révèle l’instauration d’un régime présidentiel caractérisé par un exécutif monocéphale. Certes, la stabilité régulière observée dans l’exercice de ces pouvoirs est indubitablement attribuable à la contribution de la Cour constitutionnelle qui, en vertu de ses attributions, constitue un véritable « lubrifiant institutionnel. »6. C’est dans cette perspective que s’inscrivent

4 Frédéric Joël Aïvo, op.cit., p. 16

5 Mathieu Caron, Droit gouvernemental : Finalités théoriques, pratiques et démocratiques, Institut Francophone pour la justice et la démocratie, 2023, p. 77

6 Nicaise Médé, « La fonction de régulation des juridictions constitutionnelles en Afrique francophone », Annuaire international de la justice constitutionnelle, 2008, p. 49

peut-être les propos du Docteur Gilles Badet, lequel affirmait sans contexte officiel sur ses pages numériques que « lorsque le juge constitutionnel somnole dans ses fonctions, c’est tout l’Etat qui part en feu ».

Ainsi, le juge constitutionnel béninois joue un rôle crucial dans la préservation du patrimoine de la Conférence Nationale. Ce dynamisme et cette vitalité suscitent un regain d’intérêt au sein de la doctrine, au point que le professeur Frédéric Joël Aïvo a observé que « la Cour constitutionnelle béninoise alimente, avec un gros appétit, tous les phénomènes de la vie juridique et politique, actes, faits, actions, omissions, silences compris. »7 Si cette conception compte tant d’admirateurs dans la doctrine et devient l’objet privilégié de la curiosité scientifique, la Professeure Dandi Gnamou demandait si « la Cour constitutionnelle du Bénin n’en fait-elle pas trop ? »8.

Par ailleurs, bien que ces institutions classiques occupent le devant de la scène, il convient de souligner que la Constitution a également institué d’autres organes, tels que la HAAC, la Haute Cour de justice et le Conseil Économique et Social, qui participent activement à la construction de la nouvelle société et jouent un rôle indéniable. L’ensemble de cet édifice institutionnel constitue ce que l’on pourrait qualifier d’acquis institutionnels de la Conférence de Nationale, ancrée dans la conscience collective. Cependant, si l’ensemble de cet édifice a résisté pendant longtemps à l’usure temporelle, la donne a changé.

L’année 2019 a été marquée par une onde de choc, résultant de la révision de la constitution et de ses innovations, lesquelles suscitent de vives préoccupations au sein du milieu scientifique. Au nombre de ces innovations à la fois organiques et institutionnelles, certaines retiennent particulièrement l’attention. L’instauration d’un poste de vice-président dépourvu de pouvoirs exécutifs suscite des interrogations.

Bien que l’on puisse, au premier abord, l’assimiler sémantiquement à un exécutif bicéphale, le constituant dérivé a expressément écarté cette possibilité.

L’absence de pouvoirs exécutifs conférés au vice-président, conjuguée à son exclusion du gouvernement, soulève un problème évident. Selon le professeur Ibrahim Salami,

77 Frédéric Joël Aïvo, « La Cour constitutionnelle du Bénin », Les cahiers du Conseil constitutionnel, 2015/2 N° 47, p. 732

8 Cf. Dandi Gnamou, « La Cour constitutionnelle du Bénin n’en fait-elle trop ? », Revue Béninoise des Sciences Juridiques et Administratives, 2013, pp. 9-40

« un problème de légitimité ou de contrariété démocratique », d’autant qu’il est unanimement admis que l’élection confère la légitimité dans un système démocratique. Toute comparaison avec les ministres ordinaires s’avère dès lors inappropriée. Un paradoxe réside dans la possibilité de nomination d’un premier ministre, lequel pourrait se voir attribuer des pouvoirs exécutifs au détriment du vice-président, pourtant élu au suffrage national. Cette configuration, rappelant les dynamiques observées sous les mandatures de Kérékou et Yayi, accentue le défi de contrariété démocratique du vice- président, privé de toute prérogative exécutive et de participation gouvernementale.9 Outre les autres paradoxes qui pourraient également résulter de cette nouvelle configuration et des arguments qui sous-tendent cette création, il est temps de se demander si les acquis institutionnels de la Conférence Nationale suffissent en eux- mêmes. L’évidence est que la mouture issue des réflexions de la conférence des forces vives de la nation n’a pas suffi, du moins, pour l’axe institutionnel pour satisfaire le gouvernement de la rupture au moment de cette réforme.

En dehors de cette contrariété, l’instauration du parrainage présidentiel est tout aussi objet d’inquiétude et de suspicion d’exclusion. Ce nouveau système partisan, fondé sur la nécessité d’obtenir un certain nombre d’élus avec ses diverses modalités d’application, engendre un climat d’incertitude au sein des partis politiques qui participent à la vie politique. Bien que certains ne perçoivent aucune difficulté, d’autres considèrent cette problématique comme une équation complexe à résoudre, d’autant plus que la nouvelle société, fruit de la Conférence Nationale, repose sur les principes du multipartisme. Or, l’essence même du multipartisme implique l’existence d’une opposition. Interrogeons-nous, en 2025 sinon depuis 2019, sur l’opportunité d’avoir une opposition. Je veux maîtriser ma frayeur en pensant à la négative.

A l’évidence toutefois, les nouvelles configurations du temps présent constituent un sujet brûlant par rapport à la pertinence des acquis institutionnels de la Conférence Nationale.

Et il nous a semblé qu’au-delà, il est aussi des questions relatives aux valeurs substantives que la société nouvelle béninoise souhaite porter au travers de sa démocratie.

9 Ibrahim David Salami, La Constitution béninoise commentée, 2ème éd., CeDAT, Cotonou, 2020, p. 19-20

II-     L’heure irréfutable de questionner les valeurs acquises (ou les substantielles démocratiques)

La Conférence Nationale, fruit d’un consensus national10, demeure une source inépuisable de leçons et un objet d’analyse dont la portée continue d’être explorée. Elle a instauré une démocratie qui a connu un succès remarquable, suscitant une forte attractivité dans la sous-région et sur la scène internationale. Ainsi, bien qu’il soit ardu de dresser un tableau exhaustif des différents courants doctrinaux relatifs à la démocratie, l’analyse de la démocratie instaurée par la Conférence Nationale met en évidence deux concepts fondamentaux : la participation citoyenne aux processus décisionnels et l’adoption d’une idéologie libérale.

Le premier volet se traduit par la mise en place d’une démocratie représentative. Le peuple, ne pouvant exercer directement le pouvoir, choisit des représentants auxquels il confie la gestion des affaires publiques pour une durée déterminée.

Le second volet, quant à lui, s’inscrit dans le courant de la démocratie libérale, fondée sur l’idéologie libérale et la philosophie individualiste. Cette conception, qui prône les droits naturels et les libertés individuelles, a inspiré les grandes déclarations des droits de l’homme et trouve son expression dans la Constitution du 11 décembre 1990, notamment à travers la consécration des droits et libertés fondamentaux.

Jean-Louis Quermonne souligne que cette démocratie repose sur deux principes : le principe de la majorité (démocratie majoritaire) et le principe de la minorité11. Pour lui, il s’agit d’un gouvernement du peuple, exercé par la majorité librement exprimée, dans le respect du droit pour la minorité de manifester son opposition.

De même, Paul Leroy, en s’intéressant aux régimes des États libéraux, c’est-à-dire des démocraties libérales, évoque le bipartisme, puis le multipartisme, ce dernier présentant un intérêt particulier pour le continent africain.

En outre, depuis l’effondrement du communisme soviétique et de son modèle d’organisation politique, qui a marqué la fin de l’histoire selon l’expression de l’américain Francis Fukuyama, la démocratie libérale est devenue le modèle de

10 Robert Dossou, op.cit., p. 151

11Jean-Louis Quermonne, Régimes politiques occidentaux, p. 17

référence pour les États africains engagés dans la démocratisation, à l’instar du Bénin. Une telle démocratie recèle des valeurs consubstantielles à la fois à l’individu et au pouvoir politique.

Cependant, ces approches adoptées par la Conférence Nationale ont favorisé l’avènement du renouveau démocratique, caractérisé par une stabilité politique et des alternances au sommet de l’État. Elles ont permis de surmonter les crises et de consolider les acquis démocratiques. Le juge constitutionnel a su utiliser ces approches comme une arme redoutable pour dénouer diverses crises et préserver l’héritage de la Conférence Nationale.

Il a mis en œuvre ces approche à travers plusieurs décisions significatives.

En premier lieu, les décisions DCC 06-074 du 8 juillet 2006 et DCC 10-049 du 5 avril 2010, relatives au « consensus national », affirment respectivement que le consensus doit être recherché en toute circonstance lors de la procédure de révision constitutionnelle. Cette exigence se justifie par la volonté du peuple béninois d’établir un État de droit et une démocratie pluraliste, ainsi que par la nécessité de préserver la sécurité juridique et la cohésion nationale12. Toutefois, la décision DCC 10-049 précise que le consensus ne doit pas constituer un obstacle excessif, un blocage ou une perversion des processus décisionnels, ni entraver la mise en œuvre de décisions acquises ou l’accomplissement des missions des institutions républicaines13.

En second lieu, la décision DCC 12-067 du 20 octobre 2012, portant sur les « options fondamentales de la Conférence Nationale », encadre le pouvoir constituant dérivé en lui interdisant de modifier ou d’affecter, directement ou indirectement, la nature présidentielle du régime politique, la limitation à deux du nombre de mandats

12 DCC 06-074 du 8 juillet 2006 : « que ce mandat de quatre (4) ans, qui est une situation constitutionnellement établie, est le résultat du consensus national dégagé par la Conférence des Forces Vives de la Nation de février 1990 et consacré par la Constitution en son Préambule qui réaffirme l’opposition fondamentale du peuple béninois à …la confiscation du pouvoir ; que même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle »

13 DCC 10-049 du 5 avril 2010 : « le consensus doit autant que possible être constamment recherché sans pour autant constituer une source de ralentissement excessif, de blocage ou de perversion d’un processus, de la mise en œuvre d’une décision déjà acquise ou de l’accomplissement d’une mission confiée à une institution quelconque de la République »

présidentiels, ainsi que les limites d’âge des candidats à l’élection présidentielle (40 ans minimum et 70 ans maximum).

Enfin, la décision DCC 09-016 du 19 février 2009 consacre le principe de répartition proportionnelle des responsabilités entre la majorité et la minorité parlementaires14. En somme, ces décisions illustrent la manière dont le juge constitutionnel a tiré conséquence des acquis issus de la Conférence Nationale, les ériger en valeurs pour encadrer l’exercice du pouvoir et garantir la stabilité institutionnelle.

Cependant, bien que ces approches aient indéniablement contribué à la stabilité politique, l’érosion de la démocratie représentative qui s’observe partout, soulignée par Pierre Rosanvallon15, invite à une réflexion critique sur la pertinence actuelle de ces acquis. En particulier, la participation citoyenne à la vie politique, lacunaire dans le texte constitutionnel, suscite des interrogations. La configuration du système électoral fluctuant entre avancées et reculs interpelle la conscience collective quant au bien-fondé de ces acquis, auxquels certains manifestent un attachement conservateur.

Aussi, de nombreux aspects du fonctionnement de l’État soulèvent-ils des questions quant à l’adéquation des acquis aux impératifs contemporains, justifiant ainsi une nécessité d’amélioration, voire de refonte.

En définitive, il convient d’engager un débat approfondi sur l’évolution de notre modèle démocratique, afin de garantir sa pérennité et son adaptation aux défis du XXIe siècle. À la vérité, ce n’est point de siècle qu’il nous semble être encore question. Il nous paraît plutôt vital d’admettre que l’enjeu central réside dans le recalibrage de la démocratie, ou plus précisément du système de gouvernance, en fonction du « vivant ». Nous

14 DCC 09-016 du 19 février 2009 : «que la démocratie pluraliste ne saurait être de manière absolue et exclusive la loi de la majorité, mais la protection de la minorité ; qu’en effet, si la règle démocratique exige que la majorité décide et que la minorité s’incline, dans l’exercice de ce pouvoir de décision, la majorité doit cependant s’imposer à elle-même, le cas échéant, une limite qu’elle ne saurait transgresser sous peine de devenir tyrannique, à savoir, le respect des droits de la minorité »

15 Confère Pierre Rosanvallon, Le bon gouvernement, Seuil, Paris, 2015, p. 6-7: « Nos régimes peuvent être dits démocratiques, mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement. C’est le grand hiatus qui nourrit le désenchantement et le désarroi contemporains […] Le centre de gravité de l’exigence démocratique s’est du même coup insensiblement déplacé […] Ce déplacement ne signifie pas rupture, tant la question de la représentation continue à s’imposer avec évidence – on ne cesse d’ailleurs de parler de « crise de la représentation » […] , le défaut de démocratie signifie ne pas être écoutés, voir des décisions prises sans consultation, des ministres ne pas assumer leurs responsabilités, des dirigeants mentir impunément, un monde politique vivre en vase clos et ne pas rendre assez de comptes, un fonctionnement administratif rester opaque. »

pensons que la démocratie devrait s’inscrire dans un idéal de sacralisation de la vie humaine en faisant du droit à la respiration16

L’héritage de la Conférence des forces vives de la nation de 1990, bien qu’ayant permis d’instaurer un cadre institutionnel pluraliste et une dynamique d’alternance politique, s’inscrit encore dans une conception essentiellement procédurale de la démocratie. Ce modèle repose sur la structuration du pouvoir à travers des dispositifs formels : multipartisme, élections, séparation des pouvoirs, reconnaissance des droits fondamentaux. Or, dans des espaces géographiques en mutation constante et des sociétés traversées par des dynamiques de rupture, parfois marquées par des changements de régimes politiques illégitimes, ces principes formels ne suffisent plus à assurer une gouvernance stable et équitable.

Il devient dès lors impératif d’adopter une démarche constructiviste dans notre lecture de la démocratie, en considérant celle-ci non plus comme un simple cadre institutionnel figé, mais comme une dynamique en perpétuelle construction. Ce processus suppose de repenser le rapport au vivant à partir d’un universalisme inclusif, qui ne se limite pas à des principes abstraits mais qui ancre la démocratie dans une réalité tangible, prenant en compte les vulnérabilités sociales, économiques et écologiques. Il ne s’agit pas seulement de garantir des droits politiques aux citoyens, mais bien de leur assurer les conditions d’existence nécessaires à l’exercice effectif de ces droits.

C’est dans cette perspective que la démocratie substantive apparaît comme une alternative (sinon, un complément) nécessaire à l’approche mécaniste et institutionnelle héritée de 1990. Il ne suffit plus de parler de démocratie en termes de procédures électorales et d’organisation du pouvoir ; il faut en garantir la substance, en assurant une sécurité humaine durable. Cela implique de construire des espaces démocratiques qui protègent non seulement les libertés civiles et politiques, mais qui garantissent

16 Achille Mbembe, “Le droit universel à la respiration,” AOC, 4 June 2020, aoc.media/ opinion/2020/04/05/le- droit-universel-a-la-respiration/

également l’accès aux ressources, la réduction des inégalités et la reconnaissance des identités plurielles.

Dans un monde où les sociétés se reconfigurent sous l’effet de crises économiques, de mutations démographiques et de recompositions géopolitiques, une démocratie fondée uniquement sur des dispositifs institutionnels ne peut qu’échouer à répondre aux aspirations réelles des citoyens. Seule une démocratie qui inscrit la dignité humaine au cœur de ses mécanismes peut prétendre à une légitimité durable.

Si la Conférence nationale n’a pas réussi à instaurer un tel modèle, ce n’est pas faute d’avoir tenté, mais faute d’avoir disposé des instruments conceptuels et politiques pour l’enraciner durablement.

Aujourd’hui, la tâche nous revient : non pas de déconstruire l’héritage démocratique existant, mais d’en approfondir la substance pour en faire une véritable matrice de gouvernance inclusive et protectrice du vivant.

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