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Travaux dirigés dans les écoles : Entre soutien et business déguisé »

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Au fil des années, les Travaux dirigés (TD), censés être une solution pédagogique pour améliorer le niveau des élèves au Bénin, sont devenus, dans bien des cas, un système parallèle de financement des établissements scolaires et de compléments de revenus pour les enseignants. Un phénomène de plus en plus critiqué, tant par les parents que par certains acteurs du monde éducatif.

Patrice SOKEGBE

Vendredi 11 Avril. Nous sommes au Ceg 2 d’Abomey-Calavi. Les élèves de Tle D prennent place. Le professeur, connu pour sa rigueur, entra en classe à 8h avec une pile de documents sous le bras. Il pose calmement ses affaires sur le bureau, ajuste ses lunettes, puis balaie la classe du regard. « Bonjour à tous, lance-t-il d’une voix ferme. Avant de commencer notre séance d’aujourd’hui, j’ai une petite annonce à vous faire », dit-il. Un léger brouhaha parcourt la salle. « Il s’agit des frais pour les travaux dirigés…Vous savez que le collège ne prend pas en charge l’impression des supports. Or, pour que chacun puisse travailler dans de bonnes conditions, j’ai décidé de vous fournir un polycopié complet pour le semestre. Chaque élève devra verser 2500 Francs CFA pour couvrir les frais d’impression. Ce n’est pas une obligation administrative, mais une nécessité pour faciliter notre travail. Le paiement se fera auprès de votre responsable», poursuit-il. Sarah, assise au premier rang, hoche la tête. Elle savait que ce genre de tâches n’était pas facile, entre les retards de paiement et les excuses en tout genre. Un autre élève propose même de scanner et partager les documents par WhatsApp. Mais le professeur, imperturbable, rappele qu’il voulait éviter les distractions numériques et que l’apprentissage passe aussi par le papier et l’effort personnel.

La réalité au Ceg 2 Abomey-Calavi est commune à tous les établissements scolaires au Bénin. En effet, les travaux dirigés avaient pour ambition d’aider les élèves à surmonter leurs difficultés, à approfondir certaines notions vues en cours et à mieux se préparer aux examens. Proposés en dehors des heures normales de classe, ils sont censés être facultatifs et répondre à un besoin réel de renforcement. Mais dans les faits, ces TD sont devenus une quasi-obligation dans de nombreuses écoles, publiques comme privées. Les parents d’élèves témoignent de plus en plus de la pression implicite exercée sur eux pour y inscrire leurs enfants. Certains vont jusqu’à parler de « chantage scolaire », craignant que leurs enfants soient défavorisés, voire marginalisés, s’ils n’y participent pas. « De retour de leur école, mes enfants me tendent un papier que leur aurait remis l’enseignant. Ceci pour me rappeler les frais de TD. Je suis obligé de payer pour mes deux enfants. Cette attitude ressemble à un harcèlement… », confie Germain, parent d’élève. 

Une manne financière officieuse

Derrière ce système se cache une réalité économique bien moins pédagogique. Pour beaucoup d’enseignants, les TD représentent un complément de salaire indispensable, dans un contexte où les rémunérations restent faibles. Dans certaines écoles, des frais fixes sont exigés pour ces séances, souvent sans transparence sur leur utilisation. « On paie chaque mois pour des TD que l’école dit facultatifs. Mais si ton enfant ne suit pas, il est perdu en classe », témoigne Hilaire, un parent d’élève de Cotonou. Dans certains cas, les enseignants consacrent plus d’énergie aux TD où ils sont directement rémunérés qu’aux cours classiques, ce qui suscite une baisse volontaire du niveau d’enseignement pendant les heures normales, selon plusieurs observateurs.

Pour les familles aux revenus modestes, ces TD représentent une dépense supplémentaire lourde. Entre les fournitures, les frais de scolarité et les TD, beaucoup peinent à joindre les deux bouts. Cette situation aggrave les inégalités entre élèves, certains pouvant bénéficier de renforts supplémentaires, tandis que d’autres, exclus de ces séances faute de moyens, peinent à suivre.

Un vide réglementaire

Face à cette situation, le flou règne. Le cadre légal autour des TD est peu clair, voire inexistant dans certains cas. Le ministère de l’Éducation semble fermer les yeux sur certaines dérives, tandis que des chefs d’établissement profitent de l’absence de contrôle pour institutionnaliser ces pratiques. Des pistes sont pourtant envisageables. Une meilleure rémunération des enseignants permettrait de réduire leur dépendance aux revenus issus des TD. Un encadrement strict de ces travaux dirigés avec des règles claires, des tarifs plafonnés et une véritable base volontaire permettrait également d’assainir le système.
Ce qui devait être un appui pédagogique s’est transformé en industrie parallèle de l’éducation. Sans volonté politique forte et sans régulation, les travaux dirigés risquent de creuser encore plus le fossé entre élèves favorisés et laissés-pour-compte. Il est temps d’ouvrir un débat national sur cette vache à lait silencieuse du système éducatif béninois.

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