C’est un rendez-vous qui se tient une fois tous les dix ans : la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) organisée par l’ONU du 30 juin au 3 juillet à Séville (Espagne) se veut un tournant décisif pour repenser les mécanismes financiers mondiaux au service du développement durable. Qu’attendent les pays du Sud ? Entretien avec le socio-économiste malien Mamadou Goïta, directeur exécutif de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives pour le développement (Irpad).

RFI : Comment abordez-vous ce nouveau sommet sur la finance du développement dans un contexte où l’aide au développement est en danger à l’échelle mondiale ?
Mamadou Goïta : Ce rendez-vous est un moment vraiment important dans l’histoire de l’humanité compte tenu des positions actuelles des États vis-à-vis de l’aide au développement. Il est essentiel de se poser les bonnes questions. Séville va être un tournant même si on peut aussi craindre un statu quo dans les réflexions sur les modèles de développement qu’on veut promouvoir en matière de financement. Quand on regarde la tendance actuelle, il est clair que des questions comme les partenariats public-privé qui privilégient le secteur privé au détriment des investissements publics, sont de retour. Et plus fondamentalement, la question du modèle de financement de l’agriculture risque de ne pas évoluer.
Que peuvent attendre précisément les paysans des pays du Sud ? Est-ce avant tout une augmentation en volume des financements pour le développement rural ?
Il y a d’abord une attente forte d’une augmentation substantielle des volumes des financements, car c’est une condition indispensable. Mais c’est aussi la qualité de ces financements qui est en jeu : qui en est responsable ?
Les États doivent reprendre leur place à la table des discussions. On ne peut plus accepter que les finances publiques servent à financer des acteurs privés qui ont un agenda différent de celui des organisations paysannes. Elles demandent à ce que l’on privilégie un modèle agricole fondé sur des approches holistiques, agroécologiques et durables, et qu’on évite de soutenir une industrialisation agricole qui aggrave les écarts entre les pays et à l’intérieur des pays.
Quand vous parlez de qualité des financements, faites-vous référence à des conditions de prêts plus favorables comme des prêts concessionnels ?
Tout à fait. C’est un élément fondamental du débat. Il faut des prêts concessionnels. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, le taux de rentabilité interne de l’agriculture est de 7%. Il faudrait donc des financements à des taux inférieurs à ce seuil pour permettre à l’agriculture de réellement décoller.
Par ailleurs, les investissements publics doivent être réorientés vers les infrastructures, le renforcement des capacités… Le problème de l’agriculture africaine ne se limite pas à la production : il concerne aussi l’accès de la population aux denrées alimentaires. Cela suppose des infrastructures de transformation, de stockage, de transport afin de rendre ces produits disponibles et abordables.
Le concept de souveraineté alimentaire est au cœur des débats. Faut-il chercher avant tout davantage de complémentarité plutôt que la souveraineté ?
La souveraineté alimentaire n’exclut pas la complémentarité. Elle en a même besoin. Les principes de la souveraineté alimentaire reposent sur l’interaction entre États, mais dans le respect des équilibres et en évitant le dumping, qui a été dévastateur pour les économies agricoles des pays du Sud où plus de 60% de la population est agricole. Des importations incontrôlées créent une distorsion du système économique et rendent ces pays dépendants de l’extérieur.
On continue d’exporter les produits à haute valeur marchande comme le coton, le cacao ou le café – qui ne sont pas des produits de consommation locale – pendant que les marchés locaux sont inondés de produits importés.
Chercher la souveraineté alimentaire, c’est décider de ce qu’on veut produire et consommer. Cela nécessite de repenser l’usage des finances publiques et la manière de combiner différents types de financements. Car le débat sur la dette se profile. La plupart des pays se sont endettés à des taux usuriers avec des investissements dans des secteurs non rentables. L’agriculture a été le maillon faible de ces investissements.
Sur cette question de la dette, quelle est la position des organisations paysannes et des acteurs du développement rural ?
Les organisations paysannes demandent qu’on repense la dette. Beaucoup de pays ont déjà remboursé plusieurs fois leur dette, et il est temps de réinjecter ces ressources dans l’agriculture et le secteur agro-sylvo-pastoral (agriculture, pêche, élevage, forêts). On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire sans s’intéresser à ce que deviennent les produits. Ils doivent être transformés, stockés et acheminés vers les marchés locaux pour nourrir la population.
Cela nécessite une réflexion collective entre acteurs publics et privés, mais aussi entre les différents pays. Sauf que dans les pays du Sud, notamment en Afrique, l’unité est encore fragile. Est-ce que cela complique la démarche ?
Oui, c’est une difficulté. Mais il y a aussi des plateformes multi-acteurs qui essaient de réfléchir sur ces questions. Le secteur privé reste encore timide dans ces discussions, parce qu’il considère que ses intérêts sont en jeu. Mais dans plusieurs pays, les États commencent à dialoguer avec les organisations paysannes, les syndicats, les chercheurs. Je pense que les choses commencent à évoluer.
Et cela doit se faire à l’échelle transnationale ?
Oui, il existe des espaces comme le Comité pour la sécurité alimentaire mondiale (CSA). C’est aujourd’hui l’organe le plus démocratique où la société civile et les peuples autochtones peuvent faire entendre leur voix. Mais il y a des menaces. Le sommet sur les systèmes alimentaires, par exemple, a contourné le CSA pour confier l’organisation à des acteurs privés et à des structures comme AGRA (Alliance for Green Revolution in Africa).
C’est pour cela qu’il faut plus que jamais protéger et renforcer ces espaces multi-acteurs, y mettre ensemble nos intelligences pour créer des conditions de financement équitables pour l’agriculture. Les fonds publics doivent servir à structurer des filières durables et accessibles, et le secteur privé peut intervenir, mais en tant qu’acteur respectueux de la souveraineté alimentaire des États.
Vous insistez sur la nécessité d’investir dans l’agroécologie ce que certains acteurs privés hésitent encore à faire…
Oui, beaucoup de structures privées ont l’impression que l’agroécologie, c’est tourner en rond. Mais on constate, dans les zones où des initiatives avancent, que c’est justement là où on maîtrise les facteurs de production, en amont et en aval. Donc il faut aussi générer des revenus pour inciter les entreprises privées à s’impliquer. Il est indispensable que les questions foncières, de semences soient démocratisées pour permettre aux autres acteurs d’intervenir.