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Mathias Hounkpè sur les 35 ans de la Conférence des Forces vives de la Nation : « … les Béninois demeurent attachés à la démocratie et à des élections libres et crédibles »

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Le Politogue Mathias Hounkpè dresse un bilan des 35 ans de démocratie au Bénin. A travers l’interview ci-dessous, iI souligne des avancées notables, comme la stabilité politique et la continuité institutionnelle, mais déplore un affaiblissement progressif du contrôle des pouvoirs et une restriction des libertés publiques. Malgré ces défis, il estime que l’esprit démocratique issu de la Conférence nationale de 1990 demeure, surtout au sein de la population. Aussi, note-t-il une frustration croissante face au fonctionnement de la démocratie, mais un attachement fort aux principes démocratiques.

1990 -2025. Cela fait 35 ans que le Bénin a adopté le système démocratique. Quel état des lieux faites-vous ? 

Mon appréciation est mêlée parce qu’il y a des éléments de satisfaction lorsque nous comparons la situation post Conférence nationale à la situation d’avant 1990. Juste pour donner quelques exemples : Le Bénin n’a pas connu de coup d’Etat militaire depuis 35 ans alors qu’entre 1960 et 1972, il y a eu au moins 6 coups d’Etat réussis et au moins autant de tentatives non réussies de coups. Le Bénin est aujourd’hui à sa 9e législature alors qu’entre 1960 et 1972, aucune législature n’est allée jusqu’à son terme.  Contrairement à la période révolutionnaire, il y a quand même un degré de liberté publique et politique indéniable et des voies de recours permettant de protéger les libertés fondamentales des citoyens (e.g. la Cour Constitutionnelle). Dans le même temps, il faut reconnaître que depuis quelques années, la démocratie au Bénin, connaît des difficultés. Voici quelques illustrations : Le contrôle horizontal, l’équilibre et les contrepoids à travers la séparation des pouvoirs, qui n’était déjà pas très fort et qui est l’une des faiblesses congénitales de notre système démocratique s’est progressivement affaibli avec le temps, et la révision constitutionnelle de 2019 n’a pas arrangé les choses, de ce point de vue bien au contraire ! La réforme du système partisan, qui semble avoir considéré la réduction du nombre des partis politiques comme l’objectif premier et principal, ne produit pas encore et je peux même dire pourrait ne pas produire, les résultats escomptés. Pour diverses raisons, la liberté d’expression est fortement restreinte.

Il est important de souligner ici que les difficultés que pose la démocratie ne constituent pas un problème, mais c’est notre incapacité à apprendre en faisant c’est-à-dire apporter des solutions aux difficultés au fur et à mesure qu’elles se posent à nous , qui pose problème.

Tel que pensé, avez-vous limpression que lesprit est resté à ce jour ? 

A mon humble avis, globalement oui, même si c’est une réponse nuancée. En effet, malgré certaines des réformes politiques qui sont discutables et le déclin de la démocratie (également indéniable), l’esprit de la démocratie né de la Conférence nationale et reflété dans la Constitution de 1990 est globalement là, surtout au sein des populations. Si vous faites attention, aucune des grandes institutions de l’Etat n’a été fondamentalement touchée par la révision constitutionnelle de 2019 et les libertés fondamentales n’ont été que partiellement réduites même s’il faut le regretter. Pour ce qui est des acteurs socio-politiques, la réponse est plus nuancée entre ceux qui opposent la démocratie au développement, ce qui n’est pas nouveau, et dont on a déjà vu les conséquences par le passé, d’une part, et ceux qui continuent de revendiquer l’esprit de la Conférence nationale et considèrent que les deux vont ensemble, d’autre part.

Mais, il faut reconnaître, qu’on peut réduire la qualité de la démocratie sans toucher à la Constitution et parfois, sans même toucher aux textes.

Dans un contexte de crise socio-politique régionale, pensez-vous que les valeurs démocratiques font encore le consensus ? 

Pour répondre précisément à votre question, je vous dirais que, de tous les sondages d’opinion que je connais, les citoyens en Afrique sont très frustrés par le fonctionnement de la démocratie, mais ils demeurent attachés aux valeurs de la démocratie à savoir liberté, reddition de comptes, participation…. Cet état d’esprit est encore plus accentué lorsque vous êtes au Bénin. De 2011 à 2023, les Béninois satisfaits de la démocratie sont passés de 60% à 44% soit une perte de 16 points alors que dans le même temps, ils sont parmi les premiers en Afrique de l’Ouest à préférer la démocratie, les élections, la reddition de comptes, de la gestion des gouvernants.

Pour résumer, nous ne sommes pas contents de la manière dont fonctionne la démocratie, mais nous voulons toujours de la démocratie et nous voulons d’une démocratie qui fonctionne mieux.

En tant que politologue, sur quels leviers agir pour que lon continue de vanter les mérites de notre démocratie ? 

Il s’agit ici d’une question difficile. Mais je pourrais donner quelques idées sur les leviers importants qui peuvent aider à aller dans la bonne direction. Le premier facteur important, c’est le leadership. L’histoire nous enseigne que dans les pays où des réformes politiques majeures ont été faites, il a fallu des hommes politiques capables de s’élever au-dessus de leurs intérêts politiques et autres immédiats et de penser à l’intérêt général. Il faut donc des acteurs politiques capables de s’oublier, ne serait-ce qu’un tout petit peu.

Le deuxième facteur, c’est qu’il est important de créer des cadres de réflexion sur les dimensions majeures de la démocratie qu’il faut améliorer au Bénin, notamment le renforcement de la séparation des pouvoirs à travers, par exemple, le renforcement de la capacité de contrôle de l’action gouvernementale par le Parlement et l’amélioration de l’indépendance du pouvoir judiciaire ; la redynamisation du secteur des médias, en tenant compte des évolutions dans ce secteur notamment les réseaux sociaux et autres, la redynamisation du secteur des organisations de la société civile, surtout à l’aune des dynamiques à travers le monde aujourd’hui, la révision des réformes du système partisan, etc.

Ces derniers jours, lon constate des tentatives de remise en cause de la Constitution. Cela est-il légitime ? 

Il vaut mieux éviter d’aller dans cette direction, notamment parce que la Constitution établit les bases de notre démocratie, de notre vivre-ensemble, et il vaut mieux ne pas jouer avec. Ceci dit, moi je suis pour la liberté d’expression et donc la liberté de dire littéralement ce qu’on veut mais aussi d’en assumer les conséquences. Voilà pourquoi, je salue également tous ceux qui portent tous les cas qui ressemblent à la violation de la Constitution ou à des incitations à la violation de la Constitution devant la Cour Constitutionnelle, à charge pour elle de jouer pleinement son rôle de clé de voûte et de gardienne des institutions. C’est une manière de mettre ceux qui s’adonnent à des actes du genre devant leurs responsabilités et il faut encourager cela.

En l’état, cette Constitution garantit-elle les élections générales crédibles ? 

De façon générale, surtout dans les pays francophones, la Constitution est, en général, sommaire en ce qui concerne les élections et leur gestion. C’est surtout le Code électoral qui précise les détails relatifs aux conditions de participation aux élections et à la gestion du processus électoral. Et dans ce cas, nous savons tous, je l’ai déjà dit en d’autres occasions, que le Code électoral actuel est porteur de germes de crise. L’application du code peut engendrer des crises lors des élections mais également dans la phase post-électorale et ceci, pour diverses raisons qui ont déjà été évoquées ailleurs.

Un mot pour conclure cet entretien

Je voudrais dire, pour conclure, que lors des réformes à venir, il est important de garder à l’esprit que les Béninois demeurent attachés à la démocratie et à des élections libres et crédibles ; les Béninois demeurent attachés à des gouvernants qui rendent compte de leur gestion ; et que la séparation des pouvoirs reste un objectif déterminant.

Propos recueillis par Patrice SOKEGBE

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