Il se tourna, se retourna, se recroquevilla dans son pagne de nuit, la natte à peine défaite, l’oreiller sans creux ni tête, en veine de confidences, orphelin.
Il était rentré tard, très tard, au tôt du jour, n’avait rien dit à l’oreiller, pas un mot. D’habitude il était prolixe, se racontait volontiers, comme on parle à un divan, de ses coups, des mauvais surtout, sinon à quoi servirait un oreiller, les bons coups ne l’intéressent pas, un soupir y suffit.
Mais là, rien, pas un soupir, le silence, un silence tortueux, qui le tournait dans tous les sens, la natte impassible, qui en a vu d’autres, l’oreiller en attente, frustré, inquiet aussi, inquiet de voir le pagne tant tourneboulé.
L’horloge paternelle commença à égrener les six coups. A peine une heure qu’il était rentré, même pas. Au sixième gong, il se mit sur son séant, le regard hagard tourné vers le joyau intemporel qui marquait le temps dans le salon du vieux.
Il l’ entendit respirer dans la pièce d’à côté, sa chambre à coucher. Il ronflait, en fait, mais ces choses-là ne se disent pas, ne se pensent même pas. Il respirait, le vieux, voilà tout. Un peu fort sans doute, mais à son âge, tant qu’on peut respirer, et fort, quel soulagement, c’est un temps de pris sur la vilaine grippe aoûtienne, sur le paludisme qui ne connaît pas de saison mais a une préférence marquée pour les petits vieux, et les enfants.
La respiration du vieux le rappella à la règle, celle que le partenel lui avait sentencieusement signifiée, un soir, au tout début de ses vacances.
– » Tant qu’à profiter de tes vingt ans, j’aime autant que tu rentres tard que tôt ! «
La recommandation du vieux venait de loin, du fin fond de la nuit, une nuit, à trois heures du matin. Il avait attendu mes vingt ans pour me la conter.
Cette nuit là, un de ses amis, qui n’était pas lui, s’était-il empressé de préciser, prenait l’air, comme tous les soirs de saison sèche, dans la cour de sa maison, la natte à même le sol, le corps à demi couvert par la belle étoile.
Une voix, et puis deux, et puis trois, mais aucune, ne réussit à le sortir des bras de la brise légère qui caressait son torse et fermait ses yeux à double tour.
Une autre voix trouva la clé : son nom d’initié fut prononcé !
Aussitôt, la brise se retira, soufflée ; un souffle nouveau s’installa, celui de l’initié, démasqué, débusqué : le sommeil prit ses jambes à son cou et la respiration, opportune opportuniste, courut à la rencontre du nouveau souffle ; les yeux se décillèrent, hagards, interrogateurs, tête chercheuse :
Une voix s’éleva :
» Ô maître des lieux, toi l’initié, toi qui connais nos règles, laisse-nous donc répéter la partition que nous jouerons demain aux humains ignorants des mystères de la nuit. Ce soir, ta cour est notre scène, et ta chambre à coucher, le coin du souffleur.
Retire-toi ! Au coin, en silence,
et laisse-nous travailler la divine comédie des humains.
Un jour tu comprendras, mais ne hâte pas le moment, ce soir tu n’es pas des nôtres, tu es l’intrus sans partition.
Retire-toi, si tu ne veux pas être réduit au rôle de souffleur sans voix. »
Le maître des lieux se mit debout, le regard à terre, la natte aussi, le pagne rapidement plaqué au corps, pour se retirer dans sa chambre, le coin de l’initié confiné au silence.
Mon père s’était tu. Il avait dit tout cela le regard porté au loin, au fin fond de la nuit ; ses yeux ne revinrent vers moi que quand il eut fini de conter.
Il n’y avait plus de mots dans son regard, ni de réponse, il avait tout dit, à moi de comprendre le reste.
Et le reste me plut :
in » Impromptus » – Roger Sidokpohou – Cotonou 2025