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Gabon: Brice Clotaire Oligui Nguema, du sérail à l’estrade

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Chef de la transition militaire qui dirige le Gabon depuis le renversement d’Ali Bongo, le 30 août 2023, le général Brice Clotaire Oligui Nguema a été élu président du pays pour sept ans. Il a obtenu 90,35 % des voix, selon les résultats globaux provisoires annoncés dimanche 13 avril par le ministère de l’Intérieur. Une consécration pour ce militaire de carrière, formé et promu au sein du système Bongo avec lequel il a promis de rompre, même s’il s’inscrit dans sa continuité par bien des aspects.

Du jeune Brice Clotaire Oligui Nguema, Jean-Boniface Asselé se rappelle « qu’il n’aimait pas perdre au ballon, une preuve de caractère. » Du désormais président du Gabon, il note qu’il a « écouté, appris, retenu les conseils des sages ».

Patriarche de la famille Asselé-Dabany, beau-frère et ancien chef de la police d’Omar Bongo, plusieurs fois ministre, celui qu’on surnomme le « tonton associé » a vu grandir Brice Clotaire Oligui Nguema au sein d’un sérail dont le noyau dur partage la même région d’origine que les Bongo, le Haut-Ogooué, la province la plus orientale du Gabon.

C’est là qu’a poussé le nouveau chef de l’État, dans la petite ville de Ngouoni, à une trentaine de km au nord-est de Franceville. Né d’un père militaire Fang du nord, Brice Clotaire Oligui Nguema est un cousin des Bongo par sa mère téké qui l’a élevé. Cette appartenance régionale et familiale ouvre les portes de la carrière militaire à ce jeune homme qui grandit loin du faste ostentatoire de la dynastie, va à l’école gabonaise (baccalauréat à Port-Gentil, puis étudiant à Masuku/Franceville) et conserve un lien avec ses racines. Dans sa jeunesse, il est notamment couvé par le général André Oyini, originaire de la même localité, un des plus proches collaborateurs d’Omar Bongo. Il est donc un « petit » du régime.

Du lit de mort d’Omar Bongo au tombeur d’Ali

Né en 1975, formé à l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc, Brice Clotaire Oligui Nguema n’a pas encore trente ans quand il entre au service direct du patriarche, à sa protection puis comme aide de camp. Il accompagnera Omar Bongo durant les huit dernières années de sa présidence et jusque sur son lit de mort, à Barcelone, en 2009, où il partage son chevet avec Pascaline, la fille ainée du chef de l’État, gestionnaire des richesses du clan, mais reléguée derrière Ali au moment de choisir un successeur à celui qui règne en maître sur le pays depuis 1967. De cette époque, certains ne cachent pas leur condescendance vis-à-vis du « porteur de valise », mais sous-estiment surement la force de caractère du nouveau résident du palais du bord de mer.

Aujourd’hui encore, Brice Clotaire Oligui Nguema manque rarement une occasion de saluer la mémoire de son mentor et ne cache pas calquer son style de gouvernance sur celui de l’ancien potentat.

À la mort d’Omar Bongo, son étoile pâlit. Il retrouve le Maroc comme attaché militaire à l’ambassade, puis le Sénégal, en 2013, ce qui lui permet de se tenir éloigné de la répression post-électorale de 2016, lorsque les militaires ouvrent le feu sur leurs compatriotes pour permettre à Ali Bongo de garder un pouvoir qu’il avait perdu dans les urnes face à Jean Ping, une tragédie que les familles des victimes lui reprochent de continuer à ignorer.

En 2018, Ali Bongo est victime d’un accident vasculaire cérébral. Le pouvoir vacille à nouveau. Le 7 janvier 2019, Kelly Ondo Obiang, lieutenant de la Garde républicaine (GR), tente un coup d’État. Brice Clotaire Oligui Nguema est rappelé à Libreville pour prendre la tête des services de renseignement de la GR, à la place de Frédéric Bongo, demi-frère du président, puis la tête de l’unité d’élite l’année suivante.

Tandis qu’à la présidence, Sylvia et Noureddin Bongo font le ménage parmi les collaborateurs, envoient en prison les frères Laccruche et mettent en coupe réglée l’appareil d’État avec la « young team », Brice Clotaire Oligui Nguema accompagne la chaotique fin de second mandat, jusqu’au 30 août 2023. Quelques jours après une élection extrêmement contestée, la Commission électorale annonce, en pleine nuit, la réélection du président. À peine les chiffres donnés, le coup est consommé sans une seule goutte de sang. Le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) prend la main, annule le scrutin. À sa tête, apparaît Oligui Nguema.

Quelles sont ses motivations ? Les militaires répètent depuis, à l’envie, qu’ils sont venus pour « libérer les Gabonais » d’un système à bout de souffle, que le putsch a été une « météorite dans la nuit noire », selon la formule de leur patron. Mais selon plusieurs sources, Brice Clotaire Oligui Nguema ne supportait surtout plus la morgue des jeunes parvenus qui faisaient la loi au palais, autour de la Première dame et du fils du président. Ils sont d’ailleurs aujourd’hui les deux seuls prisonniers de ce coup d’État. Selon le magazine Jeune Afrique, une ultime humiliation lors d’une dispute de couloir l’aurait décidé à sauter le pas.

De la promesse de « rendre le pouvoir aux civils » à la candidature

Le 4 septembre 2023, lors d’un discours d’intronisation aux accents programmatiques, il promet de rendre leur « dignité » aux Gabonais et le pourvoir « aux civils ». Rapidement, ses intentions ne font guère de doute. La charte de transition prévoit l’inéligibilité de ceux qui la conduisent, à une exception : le président.

Le grand dialogue organisé en avril-mai 2024 amène à des conditions drastiques de participation à l’élection présidentielle. Certaines voix dénoncent l’avènement de la « gabonité » dans la Constitution ultra-présidentialiste qui sera validée par référendum, en novembre 2024. Ces nouvelles règles mettent hors course plusieurs poids lourds de la vie politique locale, mais la plupart des « exclus » se gardent bien de les contester, sentant qu’ils ne font pas le poids face au « tombeur des Bongo ». 

Fort de cette popularité, Brice Clotaire Oligui Nguema a en effet imposé son tempo. L’« inclusivité » tant vantée, mantra politique appris auprès d’Omar Bongo, débouche sur un agrégat autour de sa personne. On y retrouve pêle-mêle la plupart des cadres du pouvoir déchu, certains dans les coursives, depuis l’époque du parti unique, les opposants ayant tenté de faire tomber Ali Bongo dans les urnes depuis 2009, et même les grandes figures de la société civile jadis résolument critiques, et qui côtoient désormais les ex-pédégistes dans les institutions transitoires, et dans les plateformes de la campagne C’BON (jeu de mot jouant sur les initiales du président, BCON).

« Libérateur », « bâtisseur », « prophète », un nouveau culte de la personnalité

Peu osent défier ce quasi-unanimisme de façade. Le récit du « libérateur », doublé de celui du « bâtisseur », tient toujours, malgré les difficultés du quotidien, alors que la transition s’emploie à montrer son activisme par des travaux entamés tous azimuts, et la relance de grands projets devant rappeler un âge d’or fantasmé du pays, comme la réouverture d’une compagnie aérienne, de la radio Africa n°1 ou encore la construction d’un nouvel aéroport, d’un port en eau profonde et d’une nouvelle voie ferrée. « Je suis l’homme du 30 août », s’exclame-t -il à la télévision : « Je ne suis pas un grand tchatcheur et je ne viens pas pour raconter des conneries aux Gabonais », c’est sa carte de visite.

Il maitrise également très bien la symbolique : on le voit nourrir un agneau, se baigner au village avec la foule ; il renonce au salaire présidentiel ; il aime danser, prend une seconde épouse, défend les communautés rurales contre les nuisances des éléphants, rend hommage au guerrier anticolonial Wongo, au héros gabonais de la seconde guerre mondiale, Charles N’Tchoréré et accompagne le désengagement militaire français du Camp De Gaulle, amené à changer de nom.

« Il mélange parfaitement les symboliques issues de l’imaginaire traditionnel et colonial », synthétise le sociologue Joseph Tonda pour qui Brice Clotaire Oligui Nguema a, avant tout, « restauré le corps du pouvoir », en opposition à la faiblesse raillée et intimement vexatoire pour les Gabonais, d’un Ali Bongo diminué.

En privé, ses interlocuteurs louent un chef de la transition « travailleur », « concerné », « en phase avec les aspirations des Gabonais », même s’ils notent qu’il peut « s’emporter » et « a du mal avec la contradiction. »

Sur le fond, néanmoins, la rupture n’est pas aussi nette qu’espérée. La présence, continue, d’anciens barons du régime auprès du chef de l’État, irrite. Le lancement du Rassemblement des bâtisseurs comme véhicule électoral masque à peine le poids et l’influence des ex du PDG. Les coordinations de campagne du chef de l’État, les commissions d’organisation du scrutin avaient des airs de recyclerie. Pour ses adversaires, il ne fait que perpétuer la tradition gabonaise du culte de la personnalité du chef, entouré des « kounabelistes », une caste de flatteurs, opportunistes et profiteurs.

Certains rappellent aussi les accusations de biens mal acquis aux États-Unis (des propriétés achetées en liquide pour plusieurs millions de dollars entre 2015 et 2018, selon les journalistes enquêteurs de l’OCCRP, Organized Crime and Corruption Reporting Project).

Seul aux commandes d’un régime ultra-présidentiel

Les questions abondent : les perfusions sociales de la transition pourront-elles continuer ? La dette est-elle soutenable ? Les achats dans le secteur pétrolier porteront-ils leurs fruits ? Brice Clotaire Oligui Nguema se débarassera-t-il des reliquats du PDG ? Et que feront ses alliés et frères d’armes, désormais bien installés au sein de l’État, si demain ils doivent regagner leurs casernes ou que la période des vaches grasses touche à sa fin ?

Lui, préfère avancer son programme à savoir, la relance de l’agriculture, de l’exploitation des matières premières, des infrastructures vétustes et tenir ainsi sa promesse d’être le Josué du Gabon, ce prophète biblique auquel il se compare, successeur de Moïse qui aurait guidé le peuple juif à la terre promise.

En entrant pour sept années (le mandat présidentiel est renouvelable une fois) au palais du bord de mer, Brice Clotaire Oligui Nguema remise l’éclatant habit rouge de la Garde républicaine pour le costume-cravate. Hyper-président de la cinquième république, il sait qu’il n’aura aucun fusible, en cas d’échec, à « restaurer » le pays et à lui apporter « l’essor vers la félicité » promis durant la campagne, en inspiration de l’hymne national. Jusque-là il ne se cache pas, comme avec cette formule, fin mars : « Sur sept ans, on a le temps de tout résoudre. Après sept ans, si rien n’est fait, chassez-moi ».

Source : rfi

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