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Des SE mettent à mal la gouvernance des mairies : les raisons de la révocation de ceux d’Adjarra et Toucountouna

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Arsène AZIZAHO

Une gangrène ! Telle la peste, les scandales ne cessent de se propager, d’une mairie à une autre, du moins, d’un Secrétaire Exécutif (SE) à un autre. Pourtant, la réforme des Secrétaires Exécutifs (SE) était annoncée comme une rupture décisive dans la gouvernance décentralisée au Bénin. Aujourd’hui, elle connaît un sérieux revers : des détournements de fonds, des falsifications de documents, des insuffisances criantes de résultats. Bref, les scandales s’accumulent et ternissent l’image d’un dispositif pourtant pensé pour rendre meilleure la gouvernance des mairies. Le cas des dernières révocations des SE d’Adjarra et Toucountouna illustre parfaitement ces dérives.

À Adjarra, l’ex-Secrétaire Exécutive, Farida Babawé Boukary est accusée d’avoir monté un stratagème de surfacturation de prestations pour détourner près d’un million de FCFA. Elle a en effet organisé, avec le directeur du développement local et de la planification, la surfacturation du coût de deux prestations au profit de la commune pour un montant total TTC de trois millions (3 000 000) FCFA. Sur cette surfacturation, elle perçoit lui-même une commission d’un million (1 000 000) FCFA, dont huit cent mille (800 000) FCFA ont été effectivement versés par le prestataire. Étrangement, ledit directeur et l’ex-SE n’ont pas pu trouver un terrain d’entente sur les modalités de répartition de la commission, au point d’envenimer leur collaboration.

Du côté de Toucountouna, la situation n’est guère plus reluisante. Apolline Bella Dossou, alors Secrétaire Exécutive, est accusée de complicité dans la manipulation d’un arrêté municipal en lien avec un voyage en Belgique. L’objectif était simple : introduire dans ledit arrêté une clause stipulant que les frais de déplacement seraient imputés au budget communal, en contradiction totale avec la délibération du Conseil communal. Ladite délibération ne prévoyait aucune incidence financière pour la collectivité. En falsifiant ce document, Apolline Bella Dossou a outrepassé ses prérogatives et porté atteinte à l’intégrité de la gestion communale. Ces faits de malversations ont conduit à la révocation de ces deux SE lors du Conseil des Ministres de ce 14 mai 2025.

Le précédent de Porto-Novo et Tanguiéta

Avant ces deux affaires retentissantes, la mairie de Porto-Novo avait déjà défrayé la chronique. Le 24 avril 2025, par arrêté du maire, la Secrétaire Exécutive Oboubé Mahouéna Isabelle Essou épouse Dahito a été révoquée. Cette décision faisait suite à son exclusion de la commande publique pour cinq ans par l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), pour irrégularités dans la passation des marchés. À Tanguiéta, la situation est différente mais tout aussi problématique. Le 6 mai 2025, Komi Biaou, Secrétaire Exécutif de la commune, a été révoqué pour insuffisance de résultats. La décision a été prise conjointement par le préfet de l’Atacora et le Conseil de Supervision de la commune, puis formalisée par un arrêté du maire. Là, il ne s’agissait pas de malversations avérées, mais d’une incapacité notoire à atteindre les objectifs fixés.

Une rigueur affichée dans la mise en œuvre de la réforme

Pour les autorités, ces révocations ne sont pas le signe d’un échec de la réforme mais plutôt la preuve d’une rigueur dans sa mise en œuvre. La Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes affirme que l’assainissement de la gestion locale est désormais une priorité nationale. Après trois ans de sensibilisation, de formations et de coaching, l’heure est à la tolérance zéro. En clair, plus question de fermer les yeux sur des pratiques de mauvaise gouvernance ou sur l’amateurisme de certains SE. Le gouvernement entend poursuivre la réforme avec la même détermination, plaçant de facto les conseils de supervision et les maires devant leurs responsabilités.

En effet, la réforme de la décentralisation a redéfini les rôles. Les maires et conseils de supervision détiennent aujourd’hui des pouvoirs accrus de contrôle sur la gestion des Secrétaires Exécutifs. À travers l’examen des rapports mensuels d’activités, ils peuvent détecter les dérives et enclencher des procédures disciplinaires. Ainsi, les conseils de supervision jouent un rôle comparable à celui d’un conseil d’administration vis-à-vis d’un directeur général. Leur implication dans les décisions de révocation des SE n’est donc pas fortuite. Ils sont à la fois juges et garants de la bonne marche des communes.

Le cadre juridique des sanctions

On peut affirmer sans langue de bois que la réforme a pris une nouvelle tournure, presque intransigeante. Les bases juridiques qui encadrent les sanctions à l’encontre des SE sont solides. La loi n°2021-14 du 20 décembre 2021 portant Code de l’Administration Territoriale prévoit en son article 143 que le Secrétaire Exécutif est punissable de tout fait constitutif d’une faute disciplinaire selon les règles statutaires et contractuelles. Le contrat de travail des SE, notamment ses articles 9 et 10, rappelle explicitement les obligations de neutralité, d’impartialité et de continuité du service public. Toute faute lourde expose donc le SE à une révocation sans autre forme de procès. Ce dispositif permet d’assurer une réponse rapide et ferme face aux manquements constatés.

Réforme des SE : solution durable ou poudre aux yeux ?

La multiplication des scandales liés aux SE pose une problématique de fond. La réforme, en séparant les fonctions politiques des fonctions techniques, visait à assainir la gestion communale. Mais force est de constater que le recrutement de cadres qualifiés, à lui seul, ne suffit pas à éradiquer des pratiques ancrées dans le système. Certains observateurs y voient les limites d’une réforme « technocratique » qui n’a pas suffisamment pris en compte la nécessité d’un changement de mentalité. Les SE, malgré leurs qualifications, ne sont pas immunisés contre la tentation de la corruption. Raison de plus pour saluer la capacité de la réforme à sanctionner rapidement les déviances. C’est peut-être la preuve que le système de contrôle fonctionne.

Des pistes à envisager

Au-delà des sanctions, c’est toute une culture de la reddition des comptes qui doit être bâtie. La réforme a certes permis de poser des bases solides : profils qualifiés, mécanismes de suivi, pouvoir disciplinaire renforcé. Mais la consolidation de ces acquis passe par une pédagogie permanente, une transparence accrue et une implication citoyenne. En attendant, les affaires d’Adjarra, Toucountouna, Porto-Novo et Tanguiéta ne doivent pas masquer les progrès réalisés depuis 2022. Si des SE ont failli, la réactivité des autorités montre qu’une dynamique d’assainissement est bel et bien en marche. Loin d’être un aveu d’échec, ces sanctions marquent une nouvelle étape, celle d’une gestion communale placée sous le signe de l’exemplarité et de la redevabilité. En conséquence, la réforme des SE ne saurait être abandonnée. Elle doit au contraire être consolidée, en durcissant les sanctions mais aussi en approfondissant le travail de sensibilisation et d’encadrement. Car la bonne gouvernance ne se décrète pas, elle se construit dans le temps, avec des institutions solides, des mécanismes de contrôle fonctionnels et une culture de la transparence. Certes, les récentes révocations montrent peut-être que la réforme des SE, si elle a changé les structures, n’a pas encore transformé les pratiques. Mais c’est là que se situe le vrai défi : non pas abandonner la réforme, mais sévir avec la dernière rigueur, pour décourager les égarés. Ce qui est certain, la machine est lancée. Les SE trop zélés, voire indélicats auront à répondre de leurs actes. Et ce, sans état d’âme…

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