Ni Mathurin, environ 65 ans et près de 30 ans de mariage, ni les praticiens du droit, encore moins l’officier d’état civil, personne ne veut indiquer aux futurs époux, le type de régime matrimonial à choisir pour une bonne gestion des biens dans le foyer. Par expérience, chacun y va de son analyse et renvoie les tourtereaux au consentement dans le choix à faire.

Vadim QUIRIN
Degré de confiance entre les époux et contexte béninois. Voici les deux bornes qui influencent le choix du régime matrimonial à opérer par les futurs époux. Mathurin, 65 ans, père de trois filles, administrateur des ressources humaines à la retraite mais juriste de formation, avec 30 ans de mariage, partage son intime conviction à propos du régime matrimonial à choisir. Pour lui, « La base des histoires de communauté des biens et de séparation des biens, c’est le matériel. Les uns et les autres cherchent à se sécuriser. Or, dans le couple, ce qu’il faut rechercher, c’est l’harmonie, le bonheur et la paix … ». Puis, il justifie sa position, « Nous n’avons pas les mêmes valeurs. Pour moi, le matériel n’est pas un critère de vie. Au fond, le matériel n’est rien pour moi ». Et plongé dans son souvenir, il y a 30 ans, il raconte comment le choix avait été opéré en vue de la célébration de ses noces : « Nous étions tout jeunes. Complètement emportés dans l’amour. Mais, juriste de formation, c’est en connaissance de cause que j’ai choisi la communauté des biens. A l’époque, on pensait que les couples qui s’aimaient véritablement ne pouvait raisonner qu’en terme de communauté. Il me souvient, le jour du mariage, l’officier de l’état civil a rappelé le type de régime choisi, ses implications et nous a prodigué des conseils … ». Aujourd’hui sexagénaire, Mathurin ne regrette nullement ce choix. Mais, s’il lui était donné d’opérer à nouveau le choix, « j’aurai demandé à mon épouse de le faire et je le suivrai ». Car, confie-t-il, il ne se souvient pas avoir discuté de ce choix avec elle.
Avantages et limites de la séparation des biens puis de la communauté des biens
Maître Denis Yèhouénou, docteur en droit privé et notaire, souligne qu’à un moment de leur cheminement, les futurs époux seront amenés à choisir pour le sort de leurs biens. Ils doivent dire comment leurs biens seraient gérés. En la matière, poursuit-il, la loi leur offre deux possibilités. D’un côté, le régime de la séparation des biens. Au cœur de ce régime, chaque époux gère ses biens comme il l’entend. Mais, à charge à lui de contribuer aux besoins du ménage. Par principe, c’est une gestion libre sous réserve de contribuer aux charges familiales. Dans ce type de régime, il y a moins de contraintes. C’est le régime de droit commun au Bénin. C’est le régime qui ne nécessite pas, au Benin, qu’on ait recours au notaire pour la rédaction d’un contrat de mariage. C’est le régime qui s’applique d’office aux futurs époux quand ceux-ci ne font aucun choix. En dehors du régime de la séparation des biens, renchérit le notaire, il y a le régime de la communauté des biens. Celui-ci fait appel à la rédaction d’un contrat de mariage. Les époux doivent donc faire recours au notaire afin que celui-ci leur délivre le contrat de mariage qui est un acte qui régit le sort de leurs biens pendant le mariage. Ici, clarifie le notaire, les biens qui rentrent dans la communauté sont gérés sous le contrôle du mari, qui est le père de famille. Mais en cas de gestion hasardeuse, l’épouse a la faculté de le dénoncer et cela peut conduire au changement de régime. Le législateur, fait-il savoir, distingue deux régimes de communauté des biens. D’abord, la communauté réduite aux acquêts. A ce niveau, les biens possédés par les époux avant le mariage ne sont pas mis en commun. Seuls les biens acquis pendant le mariage sont concernés par la communauté. En cas de divorce, chacun conserve les biens qu’il avait avant le mariage. Les biens entrés en communauté sont partagés à part égale. Et ensuite, il y a la communauté universelle. Dans ce cas de figure, les époux sont tenus de mettre dans le patrimoine tous les biens qu’ils possèdent avant le mariage et ceux acquis pendant le mariage. En cas de divorce, les biens sont partagés à part égale. Au terme de cet exposé, Maître Denis Yèhouénou refuse de choisir à la place des époux : « Je ne peux pas influencer leur choix ». Mais, à titre personnel, il a une préférence pour le régime de la séparation des biens. Car, constate-t-il, la plupart du temps, les couples qui optent pour la communauté des biens, le font pour des raisons intéressées. Sous d’autres cieux, où la notion de communauté des biens ne souffre d’aucune ambiguïté, peut-être que « j’opterais pour ce régime », imagine-t-il.
Le choix du régime matrimonial est éclairé et libre
Impérativement, exhorte Fulgence Aguiar, sociologue de formation et actuellement chef service état civil à la mairie d’Abomey-Calavi, les futurs époux doivent éviter la précipitation dans le choix du régime matrimonial. Egalement, ils doivent éviter de faire un quelconque choix pour contenter l’autre partie. Au moment de choisir, surtout lors des échanges préalables en vue de la célébration du mariage, « lorsqu’il y a des questions auxquelles ils ne peuvent pas répondre, ils ont la latitude de s’excuser pour se retirer afin d’en discuter puis revenir donner leur point de vue à l’agent de la mairie qui les reçoit pour les préparatifs ». Généralement, concernant ces préparatifs, les futurs époux sont informés sur les différents régimes matrimoniaux. En effet, poursuit-il, dès constitution du dossier de mariage et de son dépôt, et dès lors que ce dossier est déclaré recevable, il y a la publication des bans par affichage sur le tableau public. Après, conformément au décret 2024-1363 du 20 novembre 2024, les futurs mariés sont soumis à une série de questions auxquelles ils doivent répondre. Entre autres interrogations : « avez-vous conclu un contrat de mariage notarié, si oui, quel est le régime choisi ? ou « savez-vous qu’en absence d’un contrat de mariage, vous êtes soumis au régime de droit commun, qu’est la séparation des biens ? ».
En principe, après ces différentes étapes, les futurs mariés doivent être aguerris pour choisir leur régime matrimonial. En plus de cela, ils ne doivent pas perdre de vue que la gestion des biens dans le couple doit reposer sur le dialogue. Le plus souvent, c’est l’égoïsme qui est à la base du défaut de dialogue et cela crée une accumulation de mépris. Or, « Le dialogue est le leitmotiv de la vie de couple. Forcément, vous devez avoir quelque chose à vous dire concernant la vie du foyer », conseille ce sociologue de formation avant de conclure, « je consulte toujours mon épouse pour tout ce que je veux faire et elle aussi en fait de même ».
La séparation des biens, le régime matrimonial en vogue
Sur cinquante mariages célébrés, à peine cinq relèvent du régime de la communauté des biens, renseigne Fulgence Aguiar, chef service état civil à la mairie d’Abomey-Calavi. Pour le reste des mariages célébrés, les époux optent pour la séparation des biens. Plusieurs raisons expliquent cette tendance. Certaines célébrations sont des régularisations. Les époux vivent déjà ensemble et ont leur mode de gestion des biens. Le plus souvent, chacun gère déjà ses biens comme il l’entend. Dans ce contexte, il sera difficile de les conduire sur le chemin de la communauté des biens. Pour d’autres, ils viennent au mariage parce qu’ils sont à la quête de l’acte de mariage pour des besoins administratifs. Ces personnes ne s’occupent pas d’un quelconque régime, le plus important pour eux, c’est la célébration pour aller présenter l’acte au service. Pour d’autres également, c’est le manque de moyens financiers. A peine arrivent-ils à réunir les ressources pour la constitution des dossiers. Ce n’est donc pas évident que ces derniers trouvent les moyens nécessaires pour payer les honoraires du notaire, quoi que modeste en matière de contrat de mariage. D’autres encore, c’est par ignorance. Ils ne savent véritablement pas le choix à faire. Par conséquent, il leur est appliqué l’article 184 du code des personnes et de la famille en République du Bénin : « A défaut de contrat de mariage, les époux sont soumis au régime de la séparation de biens ».
V.Q.