Après plus de 8 ans à travailler comme assistante dans un grand cabinet juridique, Claudia a profité d’un licenciement économique pour entamer une reconversion totale vers le monde du sport. Entraîneur de basket bénévole depuis de nombreuses années, c’est à 25 ans qu’elle décide de retourner sur les bancs pour commencer une formation et ainsi réaliser son rêve de devenir entraîneur de basket professionnel. Actuellement au Ministère des Sports du Bénin en tant qu’expert Basket, Claudia s’occupe notamment de la formation des entraîneurs des départements du Littoral et de l’Atlantique. Constamment à la recherche de nouveaux talents, elle gère également les équipes départementales féminines et masculines. Francaise d’origine, Claudia, connue également sous le nom de « Saahana » sur les réseaux sociaux, est une amoureuse inconditionnelle du Bénin. À travers ses contenus, elle vise à promouvoir son pays adoptif qu’elle chérit tant.
Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)
À ma mamie,
À toutes les mamies du monde,
Chère Mamie,
J’ai tellement de choses à te dire, que je ne sais même par où commencer. Tellement de choses que je n’ai pas pris le temps de te dire de ton vivant. Alors où que tu sois, cette lettre est pour toi, toi qui m’as élevée, toi qui m’as vu grandir, toi qui as fait de moi la personne que je suis aujourd’hui.
Mamie,
On dit souvent de moi que je suis une femme forte et déterminée.
Ce qui est certain, c’est que je sais de qui tenir ! Élever 8 enfants en travaillant 10h par jour à l’usine, divorcer dans les années 1940 pour fuir un mariage arrangé et rejoindre l’homme de sa vie, faire face aux critiques abjectes et méprisables, c’est loin d’être donné à tout le monde, tu sais. Je veux que tu saches que ton combat m’a inspirée et continue de m’inspirer chaque jour. Aujourd’hui, j’ai la fierté de te dire, que grâce à ton modèle de courage, j’ai réussi à réaliser mon rêve.
Je suis enfin entraîneur de basket !
Mamie,
Tu m’avais prévenue que la vie allait souvent me sembler injuste et cruelle, et qu’un jour ou l’autre, j’aurais l’envie de tout abandonner. Aujourd’hui, ta force et ton courage me permettent de surmonter tous les défis qu’une femme coach de basket dans un milieu d’hommes doit relever.
Je sais que tu n’aimes pas me voir râler, mais comment te dire que j’ai sans cesse, l’impression de devoir me justifier sur mes compétences. J’ai l’impression que les gens pensent que les hommes sont mieux placés que les femmes pour entraîner des hommes. J’ai l’impression de devoir travailler plus que les autres. Et j’ai l’impression que l’on me met des bâtons dans les roues à chaque fois que j’essaie d’avancer. Combien de fois ai-je dû expliquer que je ne suis pas la kiné de l’équipe ? Combien de fois ai-je dû faire face à ce genre de questions : « Il est où l’entraîneur principal ? » Ou encore « Vous entraînez des hommes, c’est super, mais vous arrivez à vous faire respecter ? » Autant de questions aussi pertinentes que blessantes… Mais on s’y habitue. Triste habitude, me diras-tu…
Mamie,
Sais-tu qu’un article sur moi a été publié dans un grand quotidien ?
Tu aurais été tellement fière ! L’article était intitulé « Une femme en finale nationale ». J’aurais pu me satisfaire de ce titre, et profiter de cette mise en lumière. Mais étrangement, je me suis sentie rabaissée et humiliée. Et si c’était un homme, est ce que cela aurait été précisé ? Je ne pense pas… Moi, j’ai décidé de me battre contre ce genre de préjugés sexistes, mais combien de femmes ont abandonné face à ces difficultés ?
Et bien, tu avais raison Mamie. Il y a bien eu un jour où j’ai eu l’envie de tout abandonner…
C’était un dimanche pluvieux du mois de mai, et ce jour-là, tu m’as sauvée. Une saison riche en émotions, soldée par une place en finale obtenue grâce à un travail acharné. Équipée de mon petit sac à dos, je suis arrivée à cette finale avec une détermination et une fierté incommensurables. Une finale ne se joue pas, elle se gagne. Le match commence, et le stress lié à l’enjeu disparaît automatiquement. Sur le terrain, je suis une autre personne, envahie par cette passion qui m’anime depuis toujours. Quarante minutes plus tard, le coup de sifflet final retentit, laissant place à des sauts de joie, des cris et des applaudissements intenses, tandis que mon équipe s’écroule sur le sol, dévastée et épuisée de s’être battue jusqu’à l’ultime seconde. Respectant les codes du sport, c’est le cœur serré que je me suis dirigée de l’autre côté du terrain afin de féliciter l’entraîneur adverse pour cette victoire. Une poignée de main sèche, un regard fuyant et rempli de tristesse ! C’est avec un sourire plein de malice qu’il me glisse ces quelques mots, gravés à jamais dans ma mémoire : « Je n’allais quand même pas perdre contre une femme ». Je suis restée stoïque, impuissante et dévastée. Le souffle coupé, je me suis réfugiée dans les vestiaires pour y verser toutes les larmes de mon corps. Je pouvais entendre ta voix douce et courageuse résonner dans ma tête, mamie. Comme tu me le disais si souvent, certaines personnes sont mal à l’aise quand une femme est au pouvoir. C’est une réalité, mais certainement pas une fatalité. Alors ce jour là, je me suis fait la promesse de prendre ma revanche. Chose promise, chose due ! 365 jours plus tard, dans cette même salle, contre ce même entraîneur, je versais encore des larmes. Mais des larmes de joie cette fois-ci, ayant le privilège d’admirer enfin mes joueurs soulever ce merveilleux trophée.
Dis-moi mamie, est ce que tu sais qu’aux derniers JO de Paris, il n’y avait que 13% de femmes coachs ? Et tu sais qu’en NBA, la meilleure ligue de basket au monde, aucune femme n’a encore réussi à avoir un poste d’entraîneur principal ? C’est triste, mais ça viendra. Ça prendra du temps, mais on arrivera à faire évoluer ce monde. Et lorsque l’on aura un modèle de réussite, ce sera beaucoup plus facile pour toutes ces jeunes femmes de continuer à rêver. A force de travail, de courage et d’abnégation, nous atteindrons nos objectifs, car nous sommes des femmes talentueuses et compétentes. Je te promets que nous continuerons le travail initié par toutes les grands mères du monde, pour que vos sacrifices ne soient pas vains.
Mamie,
J’ai hâte d’écrire l’histoire. J’ai hâte de t’écrire une nouvelle lettre pour te raconter tout ça.
Claudia,
Ta petite fille qui t’aime « gros » fort.