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Un testament qui interpelle encore aujourd’hui : « Un bon repas aux prisonniers »

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S’il y a un testament si inspirant depuis plus d’un quart de siècle, s’il y a un testament dont un extrait fascine, s’il y a un testament dont la mise en application de cet extrait interpelle encore aujourd’hui notre conscience collective, civile et religieuse, c’est bien à n’en point douter celui de Mgr Isidore de Souza… Et cet extrait se présente ainsi : « Je souhaite enfin que le jour de mon enterrement, un bon repas soit servi aux prisonniers de la prison centrale de Cotonou ». Des personnes, des structures, des associations se sont appliquées à cette recommandation ou s’y appliquent, de temps en temps.

Cette recommandation exprime la dynamique d’une vie. Elle témoigne à la fois de la foi en Dieu et de la foi en l’homme de celui qui l’a émise. Elle interpelle alors d’une part notre sens de l’homme au plan culturel et sociopolitique, et d’autre part l’engagement pour l’homme, comme homme de foi et comme chrétien, en cette année jubilaire.

La foi en l’homme : une vie au service des plus vulnérables

Il y a 40 ans, le 31 mars 1985, lors d’une messe à la Prison Civile de Cotonou, Mgr Isidore de Souza s’exprimait ainsi dans son homélie :

Combien d’autres ne mériteraient pas d’être ici ? Ici ou dehors, mais devant Dieu (…), nous avons tous besoin de miséricorde. Nous devrions tous nous convertir, changer de vie, demander pardon à Dieu, les uns aux autres… Personne ne saurait jeter la pierre à qui que ce soit[1].

Et il indiquait aussi son soutien à un Projet du Gouvernement, projet défini lors d’un séminaire en 1976 : « transformer nos prisons en ferme-atelier ». Et dans cette dynamique, il poursuivait

J’ai l’honneur de vous transmettre quelques instruments de travail (…)

Tout d’abord trois machines à coudre et de quoi monter un petit atelier de couture. Je souhaite que beaucoup parmi vous puissent y apprendre le métier de tailleur. Je souhaite aussi que beaucoup de nos frères qui sont en ville vous envoient le plus de commandes possible pour vous permettre de bien tourner.

Ensuite, un bon lot de raffia pour que vous intensifiez vos travaux de vannerie. (…)

Les latins disent : « Mens sana in corpore sano », c’est-à-dire un esprit sain dans un corps sain. C’est pourquoi, selon vos désirs et celui de Monsieur le Régisseur, nous vous transmettons aussi deux ballons de foot et pour vos distractions, deux jeux d’aji de chez nous.

Enfin (…) quelques livres d’alphabétisation ainsi que deux tableaux et des boîtes de craies. C’est un engagement que nous voudrions vous faire prendre, celui de vous entraider les uns les autres. Ceux qui savent déjà lire et écrire, aideront ceux qui ne le savent pas encore. Je souhaiterais que ce partage et cette entraide puissent s’étendre à tous les secteurs de votre vie ici. Ainsi vous transformerez progressivement votre maison de détention en une famille unie et chaude de la chaleur désintéressée des uns pour les autres[2].

Une visite et tous les axes (spirituel et matériel, intellectuel et ludique, professionnel et fraternel) pour l’épanouissement de tout l’homme s’entrelacent. Ce n’était ni sa première visite ni sa dernière. Lors de l’une de ses visites, il eut cette demande : « ‘‘Monseigneur, faites quelque chose pour que nos jeunes frères ne soient plus ici en prison. Ici, ils apprennent de mauvaises choses’’. L’appel est entendu et le 30 janvier 1992, (…), eut lieu l’inauguration du Centre d’Écoute et d’Orientation au cours de laquelle Monseigneur lança ses premiers mots : ‘‘C’est une histoire d’amour…’’.  Des enfants y sont accueillis au lieu d’être jetés en prison. D’autres centres d’éducation sont aménagés au cœur du marché Dantokpa et dans le secteur de Zongo de Cotonou comme dans les zones rurales pour l’éducation des enfants de la rue… »[3].

Cette sollicitude aux détenus s’intègre dans une pastorale sociale, aux larges horizons, qui n’a épargné aucun aspect de la vie de l’homme, aucune catégorie, sans exclusive. Toute pauvreté humaine constituait pour Mgr Isidore de Souza une provocation à l’action. Sensible aux diverses servitudes matérielles (maladies, analphabétisme, délinquance…) et aux multiples conditions de vie infra-humaines, fragilités humaines, spirituelles ou psycho-somatiques, il s’efforçait d’offrir, autant que faire se peut, quelque réponse. Par une dynamique pastorale socio-sanitaire (création d’hôpitaux et de centres médicaux, même en des zones reculées)[4]. Par une pastorale de l’éducation et de la promotion de l’emploi. Par une pastorale de la culture. Et même par une pastorale pour le « bien-être des morts » : il avait encouragé et mis en place une Association Nationale pour l’Entretien des Cimetières (ANEC).

D’où puisait-il cette force d’action au service de l’homme et de tout homme ? Dans sa foi en Dieu dont l’homme est image et visage. Dans sa relation au Christ, l’homme parfait, à qui il se rapportait comme Christusi. « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). La foi en Dieu se manifeste par la foi en l’homme, l’amour de l’homme. C’est la marque de l’humanisme chrétien.

Cet extrait de l’homélie prononcée par Mgr Robert Sastre à ses obsèques, résume bien sa foi, son amour et son espérance.

Il servit sollicité par la misère (…)

Homme ouvert à la souffrance de l’homme.

Il était l’homme mangé, dévoré

Qui se laissait faire, qui se laissait prendre

Dans sa généreuse simplicité et humilité

Par l’urgence des besoins qui le sollicitaient

Il allait à cœur ouvert, parlait à cœur ouvert

Agissait à cœur ouvert pour Dieu, par devoir

Par amitié, par humanité, par souci de dignité

Pour servir l’homme et servir

La vérité de l’homme et la Vérité dans l’homme[5].

Comment cette sollicitude peut-elle inspirer l’aujourd’hui de notre odyssée socio-politique ?

Le sens de l’homme, horizon de l’action politique

« La politique est la forme la plus haute de la charité » (Pie XI, 1927). La vie politique offre alors un espace extraordinaire pour servir l’homme. Nous ne félicitons peut-être pas assez celles et ceux qui s’y engagent. Mais cet espace peut aussi, au regard de la complexité du cœur de l’homme, au regard de la nature du pouvoir, au regard de l’affrontement d’intérêts opposés, par des dispositions, lois et actions, brimer l’homme et sa dignité. Surtout que nous souffrons aussi culturellement d’un sérieux déficit humain[6]. Et pourtant, la grandeur d’une nation et la qualité d’une culture s’expriment par leur sens élevé d’humanité dont le critère d’appréciation est le traitement réservé aux plus petits. Que signifierait alors aujourd’hui, « un bon repas aux prisonniers » ?

Mgr Isidore de Souza n’avait pas seulement recommandé un repas aux prisonniers, mais un bon repas. Il a mis l’accent sur la qualité du repas. L’application de cette disposition dans sa matérialité (un bon repas) est toujours nécessaire, mais elle doit aussi intégrer les conditions de vie de nos frères et sœurs détenus. L’action politique porte souvent des lueurs d’espérance, même si elles sont quelque fois vite compromises par l’épreuve du pouvoir. Je voudrais alors indiquer quelques pistes évoquées par un jeune ministre congolais, Constant Mutamba, ministre d’État en charge de la Justice et garde des Sceaux qui dès sa prise de fonction, s’est mis à visiter les prisons pour constater les conditions de vie de détenus :

  • Des réformes sur les enjeux de la justice pour une justice plus humaine ;
  • L’amélioration des conditions de vie : un lit pour chaque prisonnier. Il a commencé par s’y appliquer ;
  • Le désengorgement des établissements pénitentiaires souvent saturés, du fait de personnes qui attendent et ne sont pas jugées ;
  • Des programmes de réinsertion.

Ces actes ou projets constituent « le bon repas » dont les détenus ont plus que besoin. Ils interpellent chacun de nous et surtout ceux qui sont impliqués dans la chaîne pénitentiaire. Les maisons d’arrêt et les prisons relèvent ordinairement du ministère de la justice, et souvent celui-ci intègre les droits de l’homme. Et il ne sera jamais superflu de rappeler que « la liberté est le principe et que la privation l’exception ». Pour une justice plus humaine, pour des conditions de vie plus humaines des détenus, pour le respect et la préservation de leur dignité, quel que soit ce dont ils sont reconnus à tort ou à raison coupables, recourir à la politique des trois singes est un acte d’inhumanité. Les détenus sont des hommes et des femmes ; ils sont nos frères et sœurs. Quelque fois, peut-être notre cœur pour satisfaire son ego, peut chercher à rendre des coups, à durcir des conditions pour faire rendre gorge. Certains, pour faire plaisir, excellent dans un mauvais traitement à ceux qui sont privés de liberté. Mais la grandeur et la valeur d’un homme se mesurent à son degré d’humanité. Certains récits d’anciens détenus font froid dans le dos et donnent de l’effroi. Ils interpellent alors notre sens de l’homme.

Mgr Isidore de Souza visitait les prisonniers. Il est nécessaire de veiller à des mesures de sécurité dont l’État est responsable, mais les conditions de visite aux détenus ne seront pas une institutionnalisation de notre culture de mise en quarantaine ou d’une volonté de vengeance. Ce n’est certes pas toujours facile, mais c’est le chemin obligé pour devenir homme. C’est un signe de maturité humaine.

Aujourd’hui, « un bon repas aux prisonniers » nécessite notre engagement individuel et collectif, par des plaidoyers, des dispositions, des actions pour une justice plus humaine et des conditions de détention plus humaines. Pour tout homme et toute femme. La repensée du social est donc urgente. L’engagement pour tout homme en difficulté est un facteur d’humanité, l’un des meilleurs critères de développement et un chemin de spiritualité.

La vraie foi en Dieu renforce le sens de l’homme

La foi en l’homme de Mgr Isidore de Souza s’enracinait dans sa foi en Dieu. Nous sommes un peuple religieux. Souvent et très souvent, celles et ceux qui animent la vie politique et donc président à la vie sociale sont des croyants, et même des baptisés. C’est pour une plus-value, un fondement précieux, d’engagement pour tout homme, pour le respect de sa dignité.

Les chrétiens célèbrent une année jubilaire. Le 26 décembre 2024, le pape François ouvrait la Porte Sainte à la prison de Rebibbia à Rome. Le Jubilé est un extraordinaire temps de libération : « le Seigneur vient libérer les prisons » et de réconciliation (Cf. Lc 4, 18). Célébrer le jubilé, c’est œuvrer à la libération de tout homme et de toute femme, des chaînes spirituelles et matérielles. Chaque chrétien devient ainsi comme Mgr Isidore de Souza, un semeur d’espérance, par des œuvres de miséricorde. Celles-ci sont davantage nécessaires en une année jubilaire. Elles se déclinent en deux catégories : celles de miséricorde corporelle (nourrir les affamés, donner à boire aux assoiffés, vêtir les nus, accueillir les étrangers, visiter les malades, racheter les captifs, enterrer les morts) et celles de miséricorde spirituelle (instruire les ignorants, conseiller ceux qui doutent, corriger les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier pour les vivants et les morts).

« L’homme est la première route que l’Église doit parcourir en accomplissant sa mission : il est la première route et la route fondamentale de l’Église, route tracée par le Christ lui-même, route qui, de façon immuable, passe par le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption »[7]. L’Église, pour être fidèle à sa mission, continuera à être la voix des sans-voix, des personnes fragiles et vulnérables, par une pastorale sociale dynamique, inventive qui mette l’homme et sa dignité au centre et non qui se laisse embrigader par la rentabilité. La pastorale des prisons à travers les célébrations eucharistiques, la présence et l’accompagnement sera davantage ravivée. C’est d’ailleurs toute notre pastorale sociale qui doit être mieux repensée.

Et l’espérance est permise

« Un bon repas aux prisonniers », plusieurs de nos compatriotes, croyants ou non croyants, plusieurs chrétiens s’y appliquent. « Un bon repas aux prisonniers » ; ceux-ci, malgré les épreuves de la détention, se le donnent aussi, comme le leur recommandait Mgr Isidore de Souza, en tenant l’ancre de l’espérance. Quel que soit notre passé (chacun de nous en a), Dieu nous ouvre toujours un avenir. Par la conversion à laquelle nous sommes tous appelés. L’Esprit n’est jamais emprisonné. L’espérance est permise et promise. Rien n’est jamais perdu pour Dieu. La prison peut devenir un lieu d’engagement, de fraternité, d’humanisation. J’ai suivi la vidéo d’un jeune qui remerciait le professeur Joël Aïvo de l’avoir aidé à jouir de ses droits de liberté. Et tant d’hommes et de femmes, dans les maisons d’arrêt et dans les prisons, posent chaque jour des actes d’humanité. Qui jamais écrira le récit de leurs actes ?

Père Rodrigue Gbédjinou,

Auteur de Mgr Isidore de Souza, un prophète pour notre temps, Les Éditions IdS, Cotonou, 2019.


[1] I. de SOUZA, « Homélie à la prison civile de Cotonou le 31 mars 1985 », in Mes écrits (Textes rassemblés et présentés par R. Gbédjinou), Les Éditons IdS, Cotonou, 20142, 828.

[2] I. de SOUZA, « Homélie à la prison civile de Cotonou le 31 mars 1985 », 829.

[3] Cf. C. TEMPLE, « C’est une histoire d’amour », in Monseigneur Isidore de Souza, serviteur de Jésus-Christ s’en est allé pour l’Eucharistie éternelle, Cotonou, 1999, 38-39.

[4] La sollicitude de Mgr de Souza pour les malades l’a recommandé comme partenaire avisé des hautes institutions internationales de la santé. Monsieur Soto de la Banque Mondiale adressait en 1991 ces compliments à Mgr de Souza : « Monseigneur, si je le pouvais, je vous aurais nommé Gestionnaire des Programmes de santé pour l’Afrique. ». Cette année-même, il fut nommé Membre du Conseil Pontifical de l’Apostolat pour les services de santé. S. Capo-Chichi, « Monseigneur Isidore de Souza avait aussi une dimension d’homme de santé publique ! » in Monseigneur Isidore de Souza, serviteur de Jésus-Christ s’en est allé pour l’Eucharistie éternelle, Cotonou, 1999, 54.

[5] R. SASTRE, « Homélie d’A Dieu », in R. GBÉDJINOU, Mgr Isidore de Souza, un prophète pour notre temps, Les Éditions IdS, Cotonou, 20192, 122-123.

[6] Cf. A. QUENUM, « Construire l’humanité, condition du développement », in RUCAO 19 (2003) 23-32.

[7] JEAN-PAUL II, Redemptor hominis, 14.

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