Née et ayant grandi au Mali, Mantchini Traoré a suivi son parcours académique dans l’enseignement public malien. Depuis plus de 15 ans, elle s’investit dans l’ingénierie de projets culturels, alliant administration de structure, production audiovisuelle et coordination d’événements à une expertise institutionnelle, acquise notamment au PADESC au Mali et à l’Institut français à Paris. Au sein de cet institut, elle a coordonné le pavillon français à la Biennale de Venise et la Triennale de Milan avant de prendre en charge les Industries culturelles et créatives au sein du Pôle Culture et Partenariats solidaires, depuis 2016. Convaincue du rôle transformateur de la culture, elle a cofondé l’association Cultur’Elles pour mobiliser la jeunesse autour de la citoyenneté et du leadership, à travers des initiatives comme « L’instant Thé ». Son ambition : faire émerger une génération engagée et influente.

Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)
Chère mère,
Chère Sirandou Camara,
PAYI pour tes parents,
Celle que l’on nomme Grand-Maman !
Pilier pour tes nièces, neveux et petits-enfants.
Maman, aujourd’hui, c’est à toi que je m’adresse.
À travers cette lettre ouverte que j’ai accepté d’écrire, c’est toi que j’honore.
Dans tes yeux, je devine une fierté discrète, mêlée à mille questions silencieuses. Celles que tu ne poses pas, mais que je comprends si bien.
Mon chemin est un sentier inattendu, loin des routes tracées par mon environnement social. Rien, ni dans notre famille, ni dans mes études, ne laissait présager cette traversée vers les arts et la culture. Et pourtant, depuis plus de quinze ans, je bâtis, je transmets, je sème pour que d’autres récoltent, dans les terres fertiles des Industries Culturelles et Créatives, au service d’une citoyenneté vivante et engagée.
Oh, ta Mantchini Koumbaty !
Celle que l’on disait rêveuse, « Koun salé », l’indolente,
« Salabakatow », la petite paresseuse,
celle avec qui tu as tant arpenté les couloirs des hôpitaux de Bamako et Kati… Oui, ta Mantchini a grandi. Et dans ses mains, elle porte l’héritage silencieux des valeurs que tu lui as transmises, sans grands discours, mais avec l’exemple du quotidien : l’amour, la pudeur, l’humilité. Ces mêmes valeurs, aujourd’hui, je les tisse en un abri pour que d’autres jeunes évoluent sous un ciel propice, OÙ l’espoir se mêle à l’action, OÙ la jeunesse s’épanouit, consciente et responsable.
J’aurais tant à te dire encore, mais une seule lettre ne saurait tout contenir…
Alors je t’imagine, là, me regardant, un sourire au coin des lèvres, les yeux emplis de cette lueur et mille questions suspendues sur le fil du silence…
Comment j’ai développé cette passion et cet engagement pour les arts et la culture ?
Les arts et la culture m’animent, me portent, m’offrent un souffle. Côtoyer celles et ceux qui les façonnent est une richesse infinie. J’y ai trouvé ma place, un langage, un chez-moi, là où seuls comptent la passion et le talent, où les frontières s’effacent, où l’origine ne limite pas le rêve.
La culture est un pont, un lien, une respiration. Elle est ce langage universel qui unit ce que le monde divise.
Pourquoi je porte le programme l’Instant thé ?
L’instant thé est un concept que j’ai créé en 2016 et que nous portons avec l’Association Cultur’Elles, créée avec mes amies Sokona, Mimi k et les autres, en coproduction avec SPIRIT. Il est un programme stratégique d’accompagnement de la jeunesse, qui fait de l’entrepreneuriat social et solidaire et l’engagement citoyen des jeunes un vecteur de changement (mentalité, comportement et vision). Il s’inspire de l’environnement et du contexte socioculturel pour proposer un cadre contemporain favorable au développement d’une jeunesse responsable et actrice d’un changement transformationnel.
L’une des particularités de cette méthode est, d’une part, de faire des jeunes de véritables acteurs de changement transformationnel pour le développement. D’autre part, elle utilise la culture ainsi que la création artistique et digitale comme outils pédagogiques d’information, de formation et de sensibilisation. Elle suscite la créativité des jeunes par l’entrepreneuriat social et solidaire, les pratiques artistiques et l’apprentissage du fonctionnement des structures institutionnelles, politiques et socio-culturelles afin de leur permettre de s’approprier plus facilement les enjeux du développement local.
Dans son déploiement actuel , le programme est axé sur la participation citoyenne des jeunes, mais la méthode « Instant thé » peut être adaptée à toutes les problématiques liées au développement de la jeunesse : entreprenariat, employabilité, promotion du genre, immigration clandestine, l’écologie, l’environnement… La méthode « Instant thé » s’articule autour de trois composantes cohérentes et progressives :
Composante 1 : Gagner en assurance et confiance en soi – s’Affirmer – Agir et Mobiliser
Le point d’entrée est l’émission télévisée. Une émission de téléréalité responsable qui met en compétition des groupes de jeunes autour de projets d’entrepreneuriat social et solidaire, avec comme challenge leur capacité à impacter leur communauté, à mobiliser la population autour de leur projet et à lever des fonds localement (en nature ou en numéraire).
Composante 2 : Leadership dans la cité
Leaders de la cité estun dispositif de formation qui a pour objectif de contribuer à l’émergence d’une génération de leaders conscients et responsables, capables d’impacter leur environnement, de porter des projets de société et d’endosser des responsabilités.
Composante 3 : prise de conscience, de responsabilité et redevabilité
La 3e composante est la phase de mise en pratique des acquis des deux premières composantes à travers le déploiement d’actions concrètes auprès des populations.

Hahaha !
Je t’imagine déjà, le regard perçant, tes grands et beaux yeux fixés sur moi, murmurant, mi-amusée, mi-exaspérée : « Mantchini Ka kouma ka tchan saaa ! » (Mantchini parle trop…) tout ça pour éviter de répondre à ta question, crois-tu ?
Tu le sais, maman, mon chemin n’était pas tracé. J’ai dû lutter, me frayer un passage, gagner ma place à force de persévérance et de rencontres bienveillantes. Des âmes généreuses, qui, sans s’arrêter à mes origines, m’ont tendu la main. Et moi, j’ai su saisir ces mains tendues et transformer ces chances en tremplins.
Tu te souviens, maman ? Tata Camara, ta vilaine maman, le disait si bien : « La vie, c’est du donner et du recevoir ». Alors ai-je voulu offrir aux jeunes le cadre dont j’aurais rêvé à leur âge. Et puis, comment rester indifférente, face aux bouleversements qu’a connus notre Mali entre 2012 et 2013 ?
Tu veux savoir d’où me viennent cette créativité, cette débrouillardise, cette force de résilience ?
De toi, Sirandou Kamara Dantchogo !
Toi, la fille aînée de Cheickna Camara !
Toi la « fragile » qui s’est muée en guerrière !
Toi qui, durant la période des six mois sans salaire au Mali, bravais l’humidité des rizières, multipliais les heures à l’école régionale de Niono et paradais entre tes casseroles de yaourt pour en faire des glaces à vendre à l’école.
Et ces soirs d’incertitude où, ne sachant quoi mettre à table, tu entrais en cuisine et en ressortais, le sourire grand comme un soleil, avec un plat réinventé. Un reste de couscous de mil, un filet d’huile, quelques tomates… Mais surtout, cette magie maternelle qui donnait à nos assiettes un goût de festin.
Maman,
il y a des jours où le doute me ronge, où l’envie de tout laisser tomber me frôle…Alors, je pense à toi.
Je te revois, juchée sur ta moto « BBRS », ta grosse thermos de yaourts glacés en équilibre devant, sur la route de l’école où tu enseignais, défiant la fatigue, traçant ta route.
Et j’entends la voix de Tata, ta mère me soufflant dans un murmure d’antan : « Koumbaty, I ti yèrè keh mogow ye doni. Djignè la tiguè te toulou tiguè ye. » (La vie n’est pas du beurre…)
Alors, je ravale mes plaintes, j’essuie mes doutes et je me relève.
Parce que toi, maman, tu m’as appris la gratitude, la résilience et la force du travail.
Parce que dans mes moments de faiblesse, ta voix résonne encore : « Allah togô fô dogoni – soit reconnaissante pour ce que la vie t’a donné ».
Sirandou Camara,
Du fond du cœur, mes frères, mes sœurs et moi nous te disons merci. Merci d’avoir façonné nos âmes, guidé nos pas et fait de nous les hommes et les femmes que nous sommes devenus.
Demba, Aissata, Fati, Makan et moi unissons chaque jour nos prières, demandant au ciel de t’accorder une longue vie, afin que tu puisses récolter une bonne partie de tout ce que tes mains et ton amour ont semé.
Avec Amour,
Ta Mantchini