Un mot, six lettres, mais plusieurs vocations : faire voler les cœurs en éclats, informer, éduquer, divertir etc. Mais au-delà, le cinéma porte l’ADN de tout un peuple, en plus de sa capacité à transmettre l’émotion. Il suffit de visualiser un film, une série pour s’imprégner d’une tradition et de ses réalités. Autant de raisons qui fondent des actions tendant à redorer le blason du 7e art béninois. Car, en dépit de la foultitude de talents en la matière sous nos cieux, le cinéma peine à prendre son envol. Entre autres défis à relever pour inverser la tendance, la formation et la visibilité. Sèdo TOSSOU, jeune acteur et scénariste, l’a compris en proposant « Sèdo+ ». C’est une plateforme qui ambitionne d’offrir une vitrine aux artistes africains qui osent, créent et racontent. Son objectif est clair : redynamiser le secteur, redorer l’image du 7ᵉ art au Bénin et le hisser au premier rang d’ici 2035. Comment monsieur TOSSOU entend y arriver ? Il l’explique dans cet entretien qu’il nous a accordé.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le niveau du cinéma béninois ?
« Le cinéma béninois est en pleine construction. Il y a une grande énergie créative, une envie sincère de raconter nos réalités. Mais en toute honnêteté, le niveau technique et artistique reste fragile, notamment sur les aspects de scénario, de mise en scène et de production. Ce n’est pas un jugement, c’est un constat. Ce n’est pas un manque de talent, c’est un manque d’outils, de formation, de cadre structurant. Et c’est là qu’il faut investir ».
Quelle analyse critique pouvez-vous faire de son évolution ces dernières années ?
« On observe une véritable effervescence : les festivals se multiplient, les projets se lancent, les jeunes s’essaient à tous les rôles. C’est encourageant. Mais cette évolution reste encore trop quantitative : beaucoup de productions, peu de formation approfondie. Il nous manque une culture de l’exigence. Aujourd’hui, il ne suffit plus de tourner, il faut apprendre à raconter, à réaliser, à produire avec rigueur. Sans cela, l’évolution risque de stagner malgré la bonne volonté ».
Parlez-nous de votre initiative. Qu’est-ce qui vous a motivé à la mettre en place ?
« J’ai lancé Sedo+ pour créer une plateforme de diffusion et de formation à la fois. Mon objectif était simple : offrir une vitrine aux artistes africains qui osent, qui créent, qui racontent autrement. Mais aussi les accompagner, les professionnaliser, leur donner des repères clairs, des retours, une exigence. Je crois que l’avenir passera par des initiatives indépendantes comme celle-ci, qui allient accès, ambition et liberté ».
En quoi cette initiative contribue-t-elle, selon vous, à enrichir et dynamiser le 7ᵉ art au Bénin ?
« Elle propose un nouveau standard. On y retrouve des séries originales, produites avec peu de moyens mais beaucoup d’exigence, et surtout, une vraie attention à la narration et au langage visuel. Sedo+, c’est aussi une passerelle entre l’Afrique et les standards internationaux. Si un jeune béninois peut voir sa série regardée par un public en Europe ou aux États-Unis, ça change sa manière de créer. Et ça l’encourage à viser plus haut ».
Après votre formation aux États-Unis, pourquoi avoir fait le choix de revenir au pays plutôt que d’y poursuivre votre carrière ?
« Parce que je crois profondément que les récits africains doivent être racontés depuis l’intérieur. J’ai beaucoup appris aux États-Unis, et je continue à travailler à l’international, mais à un moment donné, il faut que ceux qui ont eu la chance d’apprendre ailleurs transmettent ici, dans un cadre structuré et ambitieux. Je ne suis pas revenu par sacrifice. Je suis revenu par conviction ».
Quels sont, de votre point de vue, les principaux défis auxquels le cinéma béninois doit encore faire face aujourd’hui ?
« Le défi majeur, c’est la formation. On ne peut pas construire une industrie forte sans former des scénaristes, des réalisateurs, des producteurs, des techniciens. Ensuite, il y a le financement, encore trop artisanal. Et enfin, la diffusion : il faut créer des plateformes, des festivals, des canaux qui permettent à nos œuvres de circuler et d’exister, chez nous et ailleurs ».
Quelles perspectives ou espoirs nourrissez-vous pour l’avenir du cinéma béninois et son rayonnement international ?
« Je crois qu’on peut, d’ici 10 ans, faire émerger une génération béninoise capable de rivaliser avec les meilleures industries régionales. Le potentiel est là. Mais il faut une vraie vision. Il faut qu’on accepte de prendre le temps de former, de réécrire, de recommencer. Le talent, seul, ne suffit pas. Il faut construire une culture d’excellence ».
Quel rôle l’État doit-il jouer dans ce changement de paradigme ?
« L’État doit prioriser l’éducation artistique. On a besoin d’écoles publiques de cinéma solides, pas juste de centres culturels ou de formations ponctuelles. Il faut faire venir des formateurs expérimentés, parfois de l’étranger, et bien les rémunérer pour qu’ils puissent rester et transmettre. Si on forme sérieusement 100 jeunes sur 5 ans, on change le visage du cinéma béninois pour une génération entière ».
Quel apport peut-on espérer des Béninois célèbres comme Djimon Hounsou ?
« Je pense qu’on doit surtout les remercier et les célébrer pour leur carrière. Djimon Hounsou a ouvert des portes incroyables, mais il ne nous “doit” rien. Il est acteur américain, il a dû tout construire à l’étranger, sans appui. C’est injuste de lui faire porter la responsabilité du développement d’un cinéma national qui, lui, relève avant tout de l’État, des professionnels locaux, et des institutions culturelles. Que Djimon décide de contribuer, c’est un bonus. Ce n’est pas une dette ».
Alexia Lumière-Christina ADJOU-MOUMOUNI