
Le renvoi des élèves pour les frais de scolarité, surtout pendant les périodes de devoir ou d’examen, s’est accentué au fil des années. Malgré les mesures prises par le gouvernement pour interdire ces manœuvres, les acteurs peinent à s’y conformer. De l’administration aux parents, passant par les élèves eux-mêmes, les avis divergent.
Michèl GUEDENON & Arsène AZIZAHO
Il était temps de sonner la fin de la récréation ! Avant la dernière sortie du Ministère des enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle, plusieurs apprenants se retrouvaient à la maison aux heures de cours ou même en période de composition, faute de moyens pour s’acquitter des frais de scolarité. Pis, des candidats étaient aussi renvoyés et, à l’approche des examens nationaux, leurs convocations ou d’autres documents importants étaient confisqués pour les contraindre à solder, peu importe la situation financière des parents. Au regard de ces réalités et de l’impact du renvoi sur le rendement académique des apprenants, les autorités béninoises ont pris certaines mesures radicales. En décembre 2017, le Gouvernement béninois, à travers la personne de Mahougnon Kakpo, ministre des enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle, a formellement interdit le renvoi des élèves lors des évaluations du fait du retard de paiement des frais de scolarité. A travers la même note de service (N⁰2557/MESTFP/DC/SFM/SA, Cotonou le 13 décembre 2017), le ministre a aussi attiré l’attention des chefs d’établissements sur l’obligation pour eux de « trouver d’autres stratégies de recouvrement » pour éviter les risques liés à la confiscation des convocations ou d’autres documents utiles à l’apprenant. Aussi, l’imposition d’achat de cahiers d’activités et autres supports de cours n’étant pas au programme a-t-elle été proscrite par la même occasion.
Le rappel de l’autorité de tutelle
Huit ans après l’interdiction de cet acte, à quelques mois des examens nationaux, le respect des dispositions ne semble pas de mise. A cet effet, Véronique Tognifodé, ministre intérimaire des enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle, a également sorti une note circulaire à l’attention de tous les chefs d’établissements publics et privés, le 02 avril dernier. « Il m’est revenu que certains chefs d’établissement, aussi bien publics que privés, continuent de renvoyer les élèves durant la période des devoirs surveillés pour non-paiement des contributions scolaires. Certains vont même jusqu’à refuser de présenter les dossiers d’examen des candidats », s’est-elle désolée, tout en rappelant les implications de la note de service du 13 décembre 2017. Elle a insisté sur la nécessité de sensibiliser les parents au lieu de renvoyer les élèves en période de composition. La ministre a tenu à rappeler les prescriptions du cadre réglementaire, en ses articles 29 et 30 qui disposent que « tout élève est astreint au paiement des frais de scolarité, sauf en cas de dérogation… et aucun élève ne peut être renvoyé ou empêché de prendre part aux examens pour non-paiement de la contribution scolaire « . Elle a surtout mis l’accent sur la nécessité de recourir à d’autres moyens, loin des renvois jugés, à cet effet, fantaisistes.
Les renvois en période d’évaluation continuent
Le censeur d’un collège public qui requiert l’anonymat a évoqué le cas de plusieurs candidats au baccalauréat dont les dossiers n’ont pas été déposés à cause du non-paiement des frais de scolarité. C’est ce qui, selon lui, a poussé la ministre Véronique Tognifodé à rappeler la note de service de 2017 portant interdiction de renvoi des élèves en période de composition. D’après ses explications, les élèves renvoyés en période d’évaluation, et qui ne composent pas, ont une note égale à zéro ; car, justifie-t-il, le renvoi pour les frais de scolarité n’a pas de preuve justificative. « En cas de non paiement, c’est un renvoi systématique des cours et surtout pendant les périodes de devoirs », a-t-il souligné, tout en indexant les parents qui n’attendent que ce moment pour honorer leurs obligations. Ce qui, pour le censeur, n’est jamais sans répercussion sur les rendements académiques des apprenants. Approchés, quelques élèves du même établissement ont fait des révélations. Didier, élève en classe de troisième dans un établissement public, a confié que les renvois ont toujours eu lieu malgré le règlement en vigueur. « Même pendant les devoirs, on renvoie des gens ici », a-t-il martelé. L’un de ses camarades, Geoffroy a ajouté qu’aucune distinction n’est faite au niveau des salles de classe. A ses dires, les élèves non à jour dans les paiements, qu’ils soient candidats ou non, sont renvoyés chez eux, que ce soit lors des compositions ou en dehors. « Mais quand tu es candidat, peu importe ce qui se passe, tu iras à l’examen. C’est juste qu’on te sortira lors des devoirs », a-t-il renseigné pour souligner que le règlement est respecté uniquement au niveau des examens nationaux. Une commerçante qui a sa boutique en face du même établissement public, a confirmé et accentué les affirmations des élèves. Jennifer par contre a souligné que « la dernière série des renvois remonte au mois de Février 2025 ». Selon elle, il y a eu un peu de recul au niveau de la rigueur des responsables dans le renvoi des élèves.
Les clarifications d’un Directeur
Laurent Agossou, Directeur du Collège d’enseignement général de Kouhounou-Vèdoko, a fait savoir qu’avant la sortie de la note de service du ministre en 2017, le personnel administratif dudit collège avait déjà pris la résolution de ne plus renvoyer les élèves pour les frais de scolarité. De ce fait, détaille-t-il, l’administration essaie de rappeler aux parents leurs devoirs et, au besoin, d’effrayer les apprenants en les menaçant de renvoi sans jamais oser le faire. Le Directeur a informé que les responsables prennent les dispositions nécessaires pour sensibiliser les parents en leur expliquant la destination de ces frais collectés. Il a précisé que l’argent est directement versé dans le compte de l’établissement logé au Trésor, et qu’aucun besoin ne peut conduire à utiliser aussitôt les frais collectés. « Il n’y a même pas à dire qu’il y a une dépense à faire et que c’est dans la contribution qu’on vient de prendre qu’on va les effectuer. Il doit au préalable avoir une traçabilité. », a-t-il affirmé. Laurent Agossou estime qu’il faut également que les responsables d’écoles publiques ou privées analysent les répercussions des renvois sur la psychologie des apprenants et sur leur rendement académique. « Le renvoi en dehors des compositions, est plus grave. L’apprenant n’a pas souvent eu la chance d’assister aux cours et on lui demande de venir composer parce qu’on ne peut l’en empêcher », a-t-il dénoncé, tout en émettant une réserve.
Quelques recommandations
Le censeur approché n’a pas manqué d’aborder l’autre aspect de cette interdiction du Ministère. Pour lui, cette décision serait difficile dans son application du fait que sans pression, certains élèves ne payeront pas les frais ; ce qui pourrait, selon lui, bloquer le bon fonctionnement des établissements. Les parents Victorin Fantohou et Saléï Dénis, respectivement peintre et mécanicien auto, ont salué la décision du gouvernement. Le premier, dont les enfants sont souvent renvoyés, pense qu’il faut nécessairement que les parents d’élèves soient reconnaissants et essaient de se mettre à jour pour faciliter la tâche aux responsables d’écoles. Le second, dans la même logique, avance que plusieurs parents abuseront « forcément » de cette réglementation pour banaliser les sacrifices des encadreurs. « D’un autre côté, il faut que le gouvernement pense à trouver le moyen pour recadrer certains parents. Interdiction de renvoi n’est pas synonyme de non paiement. Il faut que nous comprenions cela », pense-t-il. Aurélien Laurent Agossou, Directeur du CEG Kouhounou-Vèdoko, suggère tout de même que l’État pense également à la manière propice pour recadrer les parents indécis malgré leur situation financière qui ne les empêche pas de solder. Le Directeur a surtout suggéré que l’État prenne en charge, si cela lui est possible, la scolarité pour tous les élèves, rendant ainsi gratuit l’accès à l’école. Par ailleurs, « que les apprenants insistent pour qu’on commence à leur solder la contribution depuis les vacances. Ce sont eux qui ont honte quand on appelle leurs noms devant leurs camarades pour leur réclamer les frais », a-t-il conseillé après sa suggestion.