Dans la commune de Banikoara au Bénin, plus précisément dans le village de Kigamao, les Relais communautaires se dévouent chaque jour pour leur communauté. Ces acteurs incarnent le lien essentiel entre l’hôpital et la population, jouant un rôle primordial dans la sensibilisation et la prévention des problèmes sociaux et sanitaires. Formés par les autorités sanitaires et soutenus par des organisations telles que l’Unicef, Kfw, Coréens, Japonnais, Fonds Muskoka, Canadiens, Gavi avec les partenaires techniques comme l’Usaid, Llf, Fonds Mondial, les Fadec du gouvernement béninois et bien d’autres, ces relais communautaires sont le lien direct entre les populations et les structures de santé.
Patrice SOKEGBE
Issifou Moumouni, l’œil et l’oreille des autorités locales auprès de la population. 20 Décembre 2024. Il est 10 h. C’est l’heure de faire le tour des ménages pour vérifier l’état de santé des enfants et s’assurer que les recommandations issues des sensibilisations sont appliquées. Il témoigne : « lorsque j’identifie des enfants souffrant de malnutrition, je les oriente vers l’hôpital et les centres de prise en charge appropriés ». Outre la santé humaine, Issifou s’implique aussi dans la santé animale et l’amélioration de l’hygiène. Il veille à la vaccination des chiens et des chats, réduisant ainsi les risques de transmission de maladies. Par ailleurs, il mobilise les habitants pour des actions de salubrité, nettoyant régulièrement les espaces publics et améliorant les techniques de conservation alimentaire. En période de campagne de vaccination, Issifou parcourt de longues distances, souvent à vélo, pour s’assurer que chaque enfant et chaque animal reçoive les soins nécessaires.
Après la visite à domicile, Issifou organise une causerie éducative avec les femmes de la communauté. « Ces rencontres permettent d’identifier les problèmes prioritaires et de sensibiliser les habitants sur des questions essentielles telles que la sécurité alimentaire, l’hygiène ou encore la vaccination. « Récemment, lors d’une causerie, il a été constaté que des femmes laissaient leur nourriture à l’extérieur, exposant ainsi leurs familles à des risques d’empoisonnement. En réponse, une sensibilisation ciblée a été menée, conduisant à un changement significatif des habitudes alimentaires », confie Moumouni, qui veille aussià la protection des droits des enfants et des mineurs, luttant activement contre les mariages précoces et les violences faites aux jeunes. Par des actions de sensibilisation et des campagnes d’information, ils encouragent les familles à dénoncer les abus et à recourir aux services de protection disponibles.

Issifou Moumouni illustre parfaitement le rôle crucial des relais communautaires dans le développement social et sanitaire de leur localité. Son travail acharné, reconnu et apprécié, témoigne de l’importance de ces acteurs de terrain qui, jour après jour, transforment la vie de leurs concitoyens. Son engagement et celui de ses collègues ne seraient pas possibles sans le soutien des autorités et des partenaires engagés pour l’amélioration des conditions de vie dans les communautés rurales. Un relais communautaire sans visite à domicile n’en est pas un, répète-t-il souvent. Et à Kigamao, son action en est la preuve tangibles.
Les mariages précoces, cheval de troie des filles
Sur un autre plan, dans la commune de Banikoara, située dans le département de l’Alibori au Bénin, le phénomène des mariages précoces demeure une réalité alarmante qui compromet l’avenir des jeunes filles. Ce fléau socioculturel, encore très répandu dans plusieurs localités, prive de nombreuses filles de leurs droits à l’éducation et à une enfance épanouie. Les mariages précoces sont une pratique coutumière qui persiste dans plusieurs villages de Banikoara. « Souvent justifiés par des raisons économiques, culturelles ou religieuses, ces unions prématurées sont encouragées par certaines familles qui voient en elles une solution pour alléger leur charge financière ou renforcer les liens entre clans. Malheureusement, ces jeunes filles, parfois âgées de moins de 15 ans, sont forcées d’abandonner l’école pour devenir épouses et mères avant même d’avoir eu le temps de se construire un avenir », dénonce Noélie Guézo, Chargée de la Santé communautaire à l’Unicef.
De plus, elle souligne que le mariage précoce a des répercussions profondes sur la vie des filles concernées. « Privées d’éducation, elles se retrouvent dans une dépendance économique et sociale totale vis-à-vis de leur mari. Cette situation renforce leur vulnérabilité face aux violences domestiques et à l’exploitation », ajoute-t-elle. Sur le plan sanitaire, elle précise que ces jeunes filles sont exposées à des grossesses précoces qui mettent leur santé en danger. Les complications liées à l’accouchement chez les adolescentes sont fréquentes et peuvent entraîner des issues fatales, tant pour la mère que pour l’enfant. En outre, le manque d’accès à des soins médicaux adaptés aggrave encore leur situation.
L’engagement des relais communautaires dans la lutte

Face à cette problématique, les relais communautaires, tels qu’Issifou Moumouni à Sompérékou et Samou Affissou à Poto, s’investissent activement dans la sensibilisation et la prévention. Ces acteurs de terrain jouent un rôle crucial en menant des visites à domicile, en organisant des causeries éducatives et en participant aux campagnes de santé publique. Ils interviennent aussi dans l’accompagnement des jeunes filles menacées par un mariage forcé, en collaboration avec les services sociaux. Issifou Moumouni, relais communautaire dans le village de Kigamao, témoigne : « Notre travail consiste à informer les familles sur les dangers des mariages précoces et à promouvoir l’éducation des filles. Nous travaillons avec les chefs de village, les leaders religieux et les parents pour changer les mentalités. Dans certains cas, nous aidons aussi à signaler les situations à risque aux autorités compétentes. » De son côté, Samou Affisou, impliqué dans l’arrondissement de Sompérékou, souligne les défis logistiques rencontrés : « Nous manquons parfois de moyens, comme des tablettes fonctionnelles ou des forfaits internet, pour assurer un meilleur suivi des familles. Mais nous nous organisons entre relais pour optimiser les ressources disponibles. Il est crucial que nous soyons soutenus pour mieux accomplir notre mission. ». Selon lui, les relais communautaires sont au cœur de cette politique de santé communautaire. Identifiés et choisis directement par les communautés, ces acteurs locaux jouent un rôle fondamental dans la diffusion des informations sanitaires, la sensibilisation à la prévention des maladies et la promotion de bonnes pratiques d’hygiène. Ils interviennent aussi bien dans les villages reculés que dans les zones urbaines, facilitant l’accès à des services de santé de qualité. « Chaque relais est responsable de la prise en charge d’environ 200 ménages, qu’il visite régulièrement pour sensibiliser et répondre à leurs besoins en matière de santé », ajoute-t-il.
Au-dessus des relais communautaires se trouvent les agents de santé communautaire qualifiés (Ascq), principalement des infirmiers diplômés, qui supervisent leur travail et assurent la gestion des cas plus complexes. Les Ascq sont responsables de l’évaluation des activités des relais et de la prise en charge des patients dans des cas simples de maladies. « Lorsqu’un cas dépasse leurs compétences, les Ascq orientent les patients vers des structures de santé adaptées. L’un des objectifs de cette collaboration est de créer une chaîne de solidarité entre les différents niveaux de la hiérarchie de santé communautaire, ce qui permet une prise en charge plus rapide et plus efficace des populations », confie Noélie Guezo.
Les suivis groupés pour l’évaluation
Le suivi groupé du mois de décembre des relais communautaires de l’arrondissement de Sompérékou s’est tenu en présence de l’Ascq et de l’ensemble des relais communautaires. Cette séance a permis d’évaluer les activités réalisées au cours du mois, notamment les visites à domicile et les causeries éducatives. L’un des sujets majeurs abordés a été la vaccination des enfants de 6 à 59 mois contre la rougeole et la rubéole, menée récemment dans toute la commune de Banikoara et à l’échelle nationale. Les relais ont partagé leurs expériences et les défis rencontrés lors de cette campagne. Parmi les difficultés évoquées, plusieurs concernent les outils de travail. Les tablettes utilisées pour la collecte et la synchronisation des données présentent des défaillances fréquentes, allant des pannes techniques aux problèmes d’accès à Internet en raison de l’absence de forfaits. Certains relais ne disposent pas de tablettes fonctionnelles, ce qui ralentit leur travail sur le terrain. « Un autre défi majeur est l’éloignement des ménages à visiter. Certains sont situés à plus de 5 km du domicile des relais, compliquant l’atteinte des quotas fixés. Malgré la mise à disposition de vélos, ces moyens de transport ne sont pas toujours suffisants pour couvrir toutes les zones concernées », a dit Samou Affisou, Agent de santé communautaire qualifié. Face à ces contraintes, les relais communautaires adoptent des stratégies d’entraide. Travaillant en binômes, ils s’accompagnent mutuellement dans leurs visites et causeries éducatives afin d’optimiser leurs interventions. « L’appui des Ascq a également permis de trouver des solutions temporaires, notamment pour la gestion des tablettes. Les relais communautaires espèrent que le ministère de la Santé prendra en compte ces préoccupations afin d’améliorer leurs conditions de travail et renforcer l’efficacité des interventions de santé communautaire. Leur engagement demeure néanmoins intact, malgré les défis quotidiens qu’ils affrontent », explique Noélie Guézo,Chargée de la santé communautaire à l’Unicef
Des actions concrètes pour un changement durable

Les relais communautaires collaborent avec les autorités locales et les ONG pour renforcer la lutte contre les mariages précoces. Leurs interventions incluent la médiation avec les familles, l’accompagnement des filles vulnérables et la promotion de l’éducation des enfants. Ils organisent aussi des sessions de formation pour les jeunes filles sur leurs droits, ainsi que des activités de sensibilisation dans les écoles et les marchés locaux. « Les efforts de sensibilisation commencent à porter leurs fruits. De plus en plus de parents comprennent l’importance de l’éducation des filles et retardent le mariage de leurs enfants. Cependant, pour éradiquer totalement cette pratique, un engagement plus fort des autorités locales et des mesures légales plus strictes restent nécessaires. L’accès à des opportunités économiques pour les familles est également un levier important, car il réduit la pression financière qui pousse certains parents à marier leurs filles trop tôt », révèle Noélie Guézo. D’après elle, l’éradication des mariages précoces ne peut se faire sans une mobilisation collective impliquant les familles, les enseignants, les organisations de la société civile et les pouvoirs publics. Grâce à leur présence sur le terrain et à leur travail acharné, les relais communautaires sont des acteurs indispensables dans cette lutte pour un avenir meilleur des jeunes filles de Banikoara et de tout le Bénin. Il est essentiel que leur engagement soit davantage soutenu par des ressources adaptées et un appui institutionnel renforcé pour maximiser l’impact de leurs actions.
En clair, le projet de santé communautaire au Bénin, soutenu par l’Unicef, Kfw, Coréens, Japonnais, Fonds Muskoka, Canadiens, Gavi avec les partenaires techniques comme l’Usaid, Llf, Fonds Mondial et les Fadec du gouvernement béninois et bien d’autres, représente une avancée majeure pour l’amélioration de la santé publique dans le pays. Grâce à l’engagement des relais communautaires, des ASQ et des autorités locales, la prévention des maladies et l’accès aux soins sont désormais à la portée de tous, y compris dans les zones les plus reculées. Ce modèle, centré sur les besoins des communautés et sur la participation active des populations, pourrait servir de référence pour d’autres pays de la région.
Dr Mohamed Orou Yari, Mczs Banikoara: « En 2024, pour la première fois, le paludisme n’est plus la première cause de consultation »
Dr Mohamed Orou Yari, Médecin coordonateur de zone sanitaire Banikoara, s’est prononcé sur l’exécution de la nouvelle politique nationale de santé communautaire mise en œuvre depuis 2023. Selon lui, c’est un bilan très encourageant pour la zone sanitaire de Banikoara, car la diminution des cas de paludisme et l’augmentation des consultations prénatales et de la couverture vaccinale montrent que l’approche communautaire porte ses fruits. Le fait que le paludisme ne soit plus la première cause de consultation en 2024 est un indicateur particulièrement fort. Cependant, comme le souligne Dr Mohamed Orou Yari, la pérennisation de ces avancées repose sur plusieurs défis, notamment la motivation des relais communautaires, le financement durable de la politique et l’appropriation par les populations. A l’en croire, l‘engagement des élus locaux et des communautés est un atout, mais la coordination avec la politique One Health et les partenaires internationaux reste cruciale.

« Depuis juin 2023, la zone sanitaire de Banikoara, dont j’ai la charge, fait partie des communes pilotes pour la mise en œuvre de la nouvelle politique nationale de santé communautaire. Notre gouvernement a pris l’engagement d’impliquer activement les communautés dans les questions de santé. Les localités ont été divisées en grappes de 150 à 200 ménages, chacune prise en charge par un relais communautaire. Chaque relais est responsable de la promotion de la santé, de la prévention des maladies et du traitement de certaines pathologies courantes, sous la supervision d’agents de santé communautaire qualifiés. Le gouvernement a choisi de déployer progressivement cette stratégie en sélectionnant six communes pilotes, dont Banikoara, afin d’évaluer et d’ajuster le modèle avant une extension à l’échelle nationale. Après 19 mois de mise en œuvre, nous observons des résultats encourageants.
Dès les six premiers mois, nous avons noté une diminution du nombre de cas de paludisme de près de 21 000 cas par rapport à 2022. Le nombre d’enfants transfusés en pédiatrie a été réduit de moitié. En matière de vaccination, nous avons enregistré une augmentation de 600 enfants complètement vaccinés en plus de l’habituel. Le nombre de consultations prénatales a également progressé de près de 5 000 cas.
En 2024, pour la première fois, le paludisme n’était plus la première cause de consultationdans les structures sanitaires ; il est passé en troisième position. Toutefois, nous restons prudents avant de parler d’un impact avéré, car une analyse sur une plus longue durée est nécessaire. Des évaluations périodiques sont réalisées avec l’appui du ministère et de partenaires pour mesurer les effets de cette politique. La santé communautaire nécessite d’importants investissements en ressources humaines et matérielles. Dans la zone sanitaire de Banikoara, nous avons 405 relais communautaires qui doivent être soutenus. La motivation de ces relais est cruciale pour assurer la continuité des services. Le gouvernement s’engage à prendre en charge ces relais à terme, mais pour le démarrage, plusieurs partenaires, dont l’UNICEF, assurent leur rémunération. Le financement provient également du budget national via le FADEC (Fonds d’Appui au Développement des Communes) et d’autres partenaires comme LLF.
Depuis l’initiative de Bamako en 1987, les gouvernements ont compris l’importance d’impliquer les communautés dans la gestion de la santé. Les élus locaux jouent un rôle central dans cette politique, notamment dans l’identification et la supervision des relais communautaires, menées lors d’assemblées villageoises. Les chefs de village, chefs d’arrondissement et maires participent activement à cette dynamique. Parmi les défis, la coordination des acteurs de la politique One Health (santé humaine, animale et environnementale) reste essentielle. Des plateformes ont été mises en place à différents niveaux administratifs pour assurer cette collaboration. À Banikoara, un arrêté municipal a institué un cadre de concertation pour la lutte contre les maladies prioritaires.
L’acceptation de cette politique par les communautés est également un enjeu majeur. Une stratégie efficace ne suffit pas si la population ne s’en approprie pas. Des évaluations sont réalisées pour mesurer l’évolution des connaissances et comportements des populations. En matière de consultation prénatale (CPN4), nous sommes passés de 25 % à 35 %, bien que l’objectif soit plus ambitieux. Des progrès sont enregistrés, mais des efforts supplémentaires restent nécessaires pour atteindre une couverture optimale des services de santé communautaire ».
Cet article a été réalisé dans le cadre de l’initiative «Mission Presse en Urgence» de l’Unicef-Bénin