Après l’annonce de la construction d’une nouvelle gare routière à Houéyiho 1 et la délimitation de l’espace concerné, les populations affectées s’interrogent sur leur sort. Dans cet entretien, Dieudonné DAGBETO, Directeur exécutif d’Amnesty International Bénin, met l’accent sur les droits des personnes affectées par cette decision et renseigne sur les conditions de vie des habitants réinstallés il y quelques années.

Fraternité : Il y a eu l’annonce de la construction d’une nouvelle gare routière à Houéyiho 1, où les habitants devront libérer un espace de 15 étages, selon ce qui a été dit. Les populations ont été informées mais trouvent brusque cette décision. Dans sa lutte contre les expulsions forcées, que conseille Amnesty International aux gouvernements ?
Dieudonné DAGBETO : Merci. Nous sommes intervenus sur cette thématique il y a quelques années en arrière, mais pas très longtemps, où notre organisation a travaillé sur 4 projets et a publié un rapport dans ce sens. Nous avions travaillé sur le projet Marina de Ouidah, sur le projet de station balnéaire à Avlékété, sur le projet du centre administratif et commercial. Là, nous avions sorti, comme je le disais tantôt, un rapport qui a été présenté avant son lancement aux autorités, avec un certain nombre de recommandations. Le rapport a été présenté en décembre 2023. Sur ces projets spécifiquement, on avait eu des recommandations qui ont été faites aux autorités.
De façon générale, pour ce qui concerne les expulsions forcées, on avait fait également quelques recommandations, notamment demandant aux autorités d’arrêter immédiatement tout projet d’expulsion sans solution de relogement et mesures de protection des droits humains adéquates pour les personnes déplacées. On avait demandé aussi de garantir l’exécution d’études d’impact environnemental et social et des plans d’action de réinstallation pour chaque projet qui mène à des expulsions, et de garantir l’accessibilité aux personnes concernées et au public, le plus largement possible. Nous avions également demandé une modification du code foncier et domanial Bénin afin de les conformer aux droits internationaux en matière d’expulsion forcée ; particulièrement pour y inscrire le droit de toutes les personnes expulsées_qu’elles détiennent ou non un titre de propriété_ à bénéficier d’une indemnisation juste et préalable pour la perte, la récupération et le transport de leurs biens, surtout leurs logements d’origine et les terres perdues ou endommagées au cours de l’opération. Nous avons demandé aussi d’inscrire les exigences en termes de protection des droits économiques, sociaux et culturels des personnes après leur expulsion.
Toujours dans ce registre, il y a eu toute une autre panoplie de recommandations, notamment une loi qui interdit explicitement les expulsions forcées et définit les garanties qu’elles doivent être strictement respectées avant, pendant et après toute expulsion, conformément aux normes internationales de protection des droits humains. De façon générale, c’est pour que l’Etat prenne toutes les dispositions pour que de pareilles opérations n’impactent pas. Même si elles devraient impacter, que ce ne soit pas trop sévèrement sur la vie et les droits des personnes qui y habitaient. Nous avions informé suffisamment sur ces recommandations que nous avons continuées à diffuser.
Pour ce cas précis, celui de Houéyiho 1 que vous évoquez, nous ne sommes pas encore allés sur le terrain. Nous avons eu l’information, comme vous, à travers les réseaux sociaux et quelques personnes qui nous ont dit la même chose. Mais puisque nous ne sommes pas encore allés dans le fond, on ne pourra pas publier, au risque de ne pas avoir d’éléments avérés pour pouvoir nous prononcer. Mais ce sont les recommandations générales que je viens d’énumérer. Mais on voudrait que, dans le cas d’espèces, cela soit également respecté. On attend les semaines à venir pour pouvoir aller sur le terrain et rappeler ces dispositions-là.
Avec vos plaidoyers auprès des autorités, est-ce qu’il y a eu une amélioration des conditions de vie de ces personnes qui étaient impactées dans les autres régions ?
Dans les autres localités, notamment les quatre positions dont j’ai parlé et qui ont conduit à la publication de notre rapport, il y a eu quelques améliorations. Au moment où on sortait le rapport, il n’y avait pas encore assez d’infrastructures socio-économiques pour les personnes expulsées, notamment l’eau potable et l’électricité. Mais notre sortie a permis de voir qu’il y a eu une amélioration de ce côté-là.
Les populations qui ont été réinstallées ont eu de l’eau potable et de l’électricité. Même si, comme on le disait en ce temps, ces populations n’ont pas eu suffisamment de dédommagement pour se réinstaller dans de meilleures conditions. Les bâtiments qu’ils ou qu’elles construisaient ne sont pas allés totalement à leur terme.
Et aujourd’hui, d’après celles qui nous ont encore parlé en début de cette année, il n’y a pas d’activité économique qui leur permet de retrouver leur vie d’avant. Nous avons eu également des foyers qui ont été disloqués et cela a perduré. Nous avons eu des enfants qui ont cessé d’aller à l’école depuis lors. Parce que, si vous vous rappelez bien, cette expulsion avait été menée ou conduite par les autorités sous la pluie à la veille de la rentrée académique. Donc beaucoup d’enfants ont été déplacés et n’ont plus bénéficié de leur droit à l’éducation. Parce qu’aujourd’hui, sur les sites de relogement, selon les personnes affectées, il y aurait une grande distance entre les sites de relogement et les écoles que devraient fréquenter les enfants.
Donc, par manque de moyens, ces enfants n’ont pas tous continué d’aller à l’école. Certains ont commencé à attendre de leurs parents, ce qui affecte sûrement leur avenir. Pour les améliorations, je pense que c’est ce que nous avons pu noter. Parce que beaucoup de ceux dont on avait documenté les cas nous ont dit qu’ils n’ont plus eu d’interaction réelle avec les autorités. Nous avons eu, en début d’année également, l’information selon laquelle les personnes impactées par les expulsions devraient se rendre à un Secrétariat pour se faire enregistrer. Donc, les personnes qui n’avaient pas été enregistrées préalablement.
Mais il s’est fait que cette information ne serait, dans un premier temps, pas allée réellement sur le terrain, parce que ces personnes ne sont pas sur les réseaux sociaux. Elles ne disposent pas forcément de WhatsApp ou de Facebook. Ainsi, ils n’ont pas eu l’information. Et ces personnes également ne seraient pas concernées par ce communiqué, selon les informations qu’elles nous ont données. Nous avons aussitôt introduit des correspondances auprès des autorités pour repartir les voir. Parce que dans notre démarche, nous ne restons pas isolés sur la version des personnes affectées. Nous nous rapprochons également des autorités pour savoir ce qu’elles ont fait et ce qu’elles envisagent de faire.
Pour l’instant, _certainement pour raison d’agenda, on présume_nous ne sommes pas encore reçus par ces autorités pour faire un compte d’état de ces informations et de l’évolution de cette situation sur le terrain.
D’accord. Que conseillez ou recommandez-vous à ces personnes affectées ? Est-ce qu’ils doivent faire assez de bruits pour espérer un changement ? Est-ce que c’est vraiment la solution ou est-ce qu’elles doivent attendre et subir leur sort jusqu’à l’expulsion ?
Je pense que nous sommes une organisation qui travaille pour le respect et la protection des droits des personnes. Nous, de notre côté, nous continuerons à demander aux autorités que les droits de ces personnes soient respectés.
Nous demanderons également à ces personnes de crier aux autorités pour réclamer la justice parce que ces autorités sont là pour protéger les droits de nous tous. Il faudrait que ces expulsions,_ je ne sais pas encore les termes techniques qui ont été employées_ se fassent dans les règles là afin que les droits de ces personnes soient respectés.
Votre mot de fin
Je vous remercie.
Propos recueillis par Michèl GUEDENON