Les téléspectateurs qui ont suivi les échanges entre le porte-parole du gouvernement et deux journalistes, le 21 juillet, ont accueilli avec un certain étonnement, la nouvelle de l’invitation de plusieurs armées sœurs, à participer au défilé du 1er août 2025. Non pas parce que des armées étrangères viennent rehausser de leur participation la célébration de la fête de l’indépendance. Ce n’est pas une première. Mais pour le fait significatif que, parmi les troupes invitées, l’une, en l’occurrence celle du Niger, provient de l’AES. L’étonnement, en réalité, est lié au contexte. En effet, les relations entre ce pays voisin et le Bénin sont demeurées tendues depuis la survenue du coup d’État du 26 juillet 2023 qui a porté le Général Abdourahamane Tiani au pouvoir. On se rappelle que la tension est brusquement montée entre les deux pays, à la suite de l’alignement du Bénin sur les décisions de la CEDEAO, qui avait imposé des sanctions économiques au Niger qu’elle menaçait d’occuper pour y déloger les putschistes et libérer Mohamed Bazoum, le président renversé et détenu. Depuis, les thèses complotistes se multiplient, évoquant entre autres, l’installation de bases militaires étrangères et des attaques terroristes directes, commanditées par la France, premier ennemi du Niger libre, nationaliste et panafricaniste, avec la complicité de la CEDEAO.
Incertitudes
On comprend donc pourquoi ce pays a maintenu la fermeture de sa frontière avec le Bénin et multiplié les gestes de défiance vis-à-vis de notre pays en entraînant les autres États de l’AES à le boycotter. Et ce, sans fléchir sous le poids de la négociation engagée par deux anciens Chefs d’État du Bénin. C’est la raison pour laquelle on est quelque peu sceptique à l’idée que le Niger en vienne à dépasser les discours ouvertement accusateurs de son général-président contre le Bénin, pour répondre favorablement à l’invitation de Patrice Talon. Une telle attitude requiert un sens élevé de discernement. Henry John Temple, Lord Palmerston, professait que » Les États n’ont pas d’amis ou d’ennemis permanents; ils n’ont que des intérêts permanents ». Aussi, les interrogations sont-elles légitimes depuis l’annonce de l’invitation. Viendront-ils? Ou vont-ils tout simplement ignorer l’invitation ? Le fait est que, pour des raisons évidentes, le Niger et le Bénin sont condamnés à avoir des intérêts permanents. Ne serait-ce qu’en raison de la proximité des populations et du fait que le Bénin constitue le couloir d’ouverture naturel du Niger sur la mer. Mieux, le corridor Bénin-Niger est le plus court et le plus sécurisé de la sous-région, en plus d’être le plus libre d’accès pour les biens et les marchandises. Au surplus, les États de la sous-région, confrontés aux problèmes sécuritaires et aux risques d’instabilité que crée le terrorisme, n’ont d’autre choix que de mutualiser leurs moyens, afin de relever le défi de la victoire.
Signes de décrispation
La décision du Bénin de relancer la collaboration avec l’armée du Niger d’une part, et d’autre part, avec les autres armées de la sous-région invitées par la même occasion, à savoir celles du Togo, du Ghana et de la Côte d’Ivoire paraît pertinente, lucide et réaliste. Dans tous les cas, elle postule pour une décrispation du climat. Car, il est évident que la lutte que mène chaque pays en fonction de ses moyens étriqués est inopérante. Tout comme la diabolisation et la victimisation qui entraînent la radicalisation ne sauraient prospérer. Pour dire qu’avec la main tendue de Patrice Talon, il y a prétexte à briser la glace. La balle est désormais dans le camp de Tiani qui, au demeurant, pourrait saisir l’occasion pour donner la réplique à ses contradicteurs. « Moi j’invite le Général Tiani à venir me montrer ces bases. Je suis la première à vouloir savoir où elles sont », disait il y a quelques jours, Nadège Chouat, Ambassadeur de France, au sujet de la présence de bases militaires françaises au Bénin. Qui sait ? Pour l’heure, même si elle n’était pas couronnée du succès attendu, saluons déjà l’élégance et la beauté de cette initiative de rapprochement.
Anicet OKE