Lors de sa 77e session, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples s’est prononcée sur deux recours dirigés contre le Bénin. Le premier recours est relatif à l’arrêté interministériel portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice du Bénin. La deuxième requête vise la loi 2019-39 du 31 octobre 2019 portant amnistie des faits commis à l’occasion de l’organisation, du déroulement et du dénouement des élections législatives du 28 avril 2019.

Verdict de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif à des recours contre le Bénin. Lors de la 77e session, la juridiction communautaire a rendu ses décisions sur deux recours dirigés contre la République du Bénin.
Les recours portent sur deux actes. Le premier est relatif à l’arrêté interministériel portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice du Bénin.
L’auteur du recours conteste l’arrêté interministériel signé le 22 juillet 2019 par les ministres de la justice et de la sécurité. L’acte qui selon lui viserait certains acteurs politiques « viole gravement » les engagements internationaux de l’Etat béninois.
Le requérant qui a sollicité et obtenu de la Cour l’anonymat pour « raison de sécurité personnelle » allègue la violation de treize droits et obligations par l’Etat béninois du fait de cet acte. Entre autres, le droit à la présomption d’innocence et le droit à l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs.
En réaction, l’Etat béninois a demandé à la Cour de déclarer irrecevable la requête. Ceci, au motif du non épuisement des recours internes. La défense de l’Etat béninois a fait observer à la Cour qu’au moment où le requérant la saisissait, les voies de recours internes n’étaient pas épuisées.
La loi d’amnistie de 2019 visée
La deuxième requête concerne la loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de l’organisation, du déroulement et du dénouement des élections législatives du 28 avril 2019 votée par le parlement.
Organisées sans l’opposition, les législatives ont été marquées par des manifestations réprimées par les forces de l’ordre. Des pertes en vie humaine ont été enregistrées. La loi d’amnistie adoptée en 2019 par le parlement a conduit à l’abandon de la procédure engagée contre X.
L’auteur du recours allègue que la loi portant amnistie viole le droit des victimes à une protection judiciaire et à faire entendre leur cause.
Dans sa requête, l’auteur du recours demande l’annulation de la loi d’amnistie. Cela, en ce qu’elle absout les auteurs de violations de droits de l’homme de toute responsabilité et viole le droit des victimes à un recours efficace.
Il demande à la Cour d’ordonner à l’État béninois d’établir une commission d’enquête indépendante pour examiner les causes des tueries qui se sont déroulées d’avril à juin 2019 à Kilibo, Banté, Cadjéhoun (Cotonou), Savé, Tcharou et Kandi. Une fois les faits établis, il attend que les donneurs d’ordre, les auteurs et complices de ces violations soient traduits en justice.
L’auteur du recours souhaite que les victimes des violences pré et post électorales soient identifiées et indemnisées, de manière juste et adéquate. Il a demandé à la Cour de condamner le Bénin à lui payer la somme de cent millions (100 000 000) de francs CFA à titre de dommages intérêts pour le préjudice moral.
L’Etat béninois a contrattaqué. La défense de l’Etat du Bénin a demandé à la Cour de rejeter la requête. L’Etat béninois dénonce notamment un abus dans la démarche de multiplication de recours du requérant anonyme.
L’Etat béninois a fait observer que le requérant est l’auteur d’une dizaine de requêtes au fond et de demandes de mesures provisoires sollicitées en urgence depuis 2019 sur des situations diverses qu’il prétend être cause de violation des droits de l’homme et pour différents bénéficiaires qu’il ne peut identifier personnellement.
La défense de l’Etat béninois demande à la Cour de condamner reconventionnellement le requérant à lui payer,
à titre de réparation, la somme de deux milliards (2 000 000 000) de francs CFA pour l’ensemble des préjudices subis et encourus.
Non-épuisement des recours internes
Dans l’un comme dans l’autre, la défense de l’Etat béninois a soulevé plusieurs exceptions dont l’exception de non-épuisement des recours internes. L’État béninois soutient qu’un individu ne peut porter un différend contre lui devant une juridiction internationale qu’après s’être adressé à ses autorités judiciaires afin de leur donner l’opportunité de réformer les effets de la décision ou du fait étatique litigieux.
En ce qui concerne l’arrêté interministériel, l’Etat béninois affirme qu’il existe des recours judiciaires internes et satisfaisants que le requérant pouvait exercer contre l’acte. L’Etat béninois estime que le requérant que le requérant pouvait faire valoir devant la Cour Constitutionnelle les allégations qu’il soulève devant la Cour africaine.
Le requérant, en réplique, demande le rejet de l’exception. Il fait valoir, à cet effet, que l’environnement de persécution ainsi que le manque d’indépendance et d’impartialité de la Cour constitutionnelle qui prévalent rendent, de fait, indisponible le recours devant ladite Cour.
Il ajoute que son recours devant la Cour constitutionnelle serait inefficace, motif pris de ce que le recours d’un autre citoyen contre l’arrêté introduit, le 16 août 2019, à la Cour constitutionnelle a été rejeté.
Relativement à la requête contre la loi d’amnistie, l’Etat béninois estime que la saisine de la Cour africaine était prématurée. Cela, au motif que le requérant n’a exercé aucun des recours internes disponibles. A savoir la Cour Constitutionnelle compétente pour connaître des faits de violation des droits de l’Homme, et devant les cours et tribunaux.
Le requérant objecte qu’il n’est pas un parent des victimes des manifestations des 1er et 2 mai 2019 et ne peut pas introduire une action en réparation de préjudice devant le juge civil.
Il souligne que la loi d’amnistie a été déclarée conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle. Il en déduit qu’il ne dispose pas dans le système juridique interne d’un autre recours contre la loi d’amnistie et qu’en tout état de cause, la Cour constitutionnelle ne peut se déjuger.
La Cour tranche
La juridiction communautaire basée à Arusha en Tanzanie, après examen des requêtes et des moyens de chaque partie, a rendu son verdict. Dans deux décisions distinctes prononcées le même jour, la Cour a conclu à l’irrecevabilité tant de la première que de la deuxième requête.
Les juges de la Cour ont motivé leurs décisions par le fait que les requérants n’ont pas épuisé les recours internes. La Cour a jugé les arguments avancés par l’auteur de la requête contre l’arrêté interministériel inopérants. Elle souligne qu’il aurait dû épuiser les recours internes avant de la saisir.
Pour ce qui est de la requête contre la loi d’amnistie, la juridiction communautaire pense que son auteur devrait saisir la Cour Constitutionnelle avant de la saisir. Les juges de la Cour africaine estiment que ce recours était disponible.
Source : Banouto