Dans cette interview accordée au Journal Fraternité quelques heures après l’annonce du décès du pape François, le Père Arnaud Éric Aguénounon, Directeur de l’Institut des Artisans de Justice et de Paix (IAJP) au Bénin, revient sur l’héritage immense laissé par ce pontife hors-norme. Du synode à la doctrine sociale de l’Église, en passant par son engagement pour les peuples opprimés et son style de gouvernance, il dresse un portrait vibrant et engagé de celui qu’il considère comme un prophète des temps modernes.
Après l’annonce du décès du pape François ce lundi 21 avril 2025, quelle a été votre réaction personnelle en apprenant la nouvelle ?
Émotion, grande émotion. J’ai été stupéfait d’apprendre cette nouvelle parce que le pape est apparu hier pour l’Angelus, affaibli, mais avec beaucoup d’affection, beaucoup d’amour, il est apparu.
Et aujourd’hui, lundi de Pâques, quand on me dit qu’il est parti, j’ai été vraiment scandalisé, par la mort qui est mauvaise, la mort qui vient nous visiter si brutalement et si brusquement.
Quel héritage spirituel et pastoral le pape François laisse-t-il, selon vous, à l’Église universelle, mais aussi à l’Église d’Afrique?
L’héritage est énorme
Je prends par exemple la réforme de la curie, cette réforme opérée par le pape François, qui va jusqu’à la question de la synodalité, c’est-à-dire gérer avec un esprit d’équipe, avec un esprit d’ouverture, un esprit d’altérité, qui consiste à donner à chacun sa part de responsabilité et se dépouiller sans perdre de vue sa responsabilité. Et ça, c’est essentiel dans une institution bimillénaire où le pouvoir est concentrique. Il a voulu rendre le pouvoir, de façon élargie, mais de façon responsable, pour que chaque maillon de la chaîne prenne conscience de sa responsabilité et prenne conscience de son devoir. Ça, nous le devons au pape François, et c’est ça l’esprit de la synodalité.
Le Pape François a souvent pris position sur des sujets sociaux et politiques. En tant que prêtre béninois et Directeur de l’IAJP, comment avez-vous perçu son engagement sur ces enjeux ?
Je pense que le Pape François, sous son pontificat, a systématisé la doctrine de l’Église. Et cette doctrine de l’Église est devenue une priorité pour lui. Ceci, en ouvrant cette doctrine de l’Église vers les périphéries, vers les migrants, vers les questions environnementales, vers les questions des personnes fragiles, des personnes sensibles, en défendant la justice et en prônant la paix.
Il en a même fait un département d’études et de recherches à l’Université pontificale Urbaniana de Latran, Rome. Donc c’est pour dire à quel point le pape a fait de la systématisation de la doctrine de l’Église une question pratique mais une question intellectuelle, une question de recherche fondamentale dans l’Église. Et ça, c’est pour nous très important.
La deuxième chose, c’est qu’il a systématisé la pastorale, la pastorale des périphéries. En parlant de cette pastorale, on pense aux migrants, on pense aux personnes marginalisées, aux personnes les plus faibles, aux personnes laissées pour compte, aux personnes rejetées. Il en a fait une systématisation concrète et ça, c’est à son actif.
Et quand on voit tout ce qu’il appelle le cardinalat, on se dit qu’on a en fait un pape qui voit l’Église dans 50 ans, dans 100 ans. Il n’a pas agi pour l’Église du présent. Il a agi pour l’Église du futur. Et on voit, on comprend pourquoi il est allé en Océanie, en Asie, dans les pays lointains.
Il est allé en Afrique il l’a dit. Donc, il s’est engagé fondamentalement corps et âme pour sauver les pays, pour sauver les pays de l’impérialisme, de la dictature et de l’oppression.
Selon les traditions séculaires de l’Église, comment le Vatican va-t-il rendre hommage au Saint-Père dans les jours à venir ?
D’abord, il y aura ses obsèques qui auront lieu très prochainement, entre 5 et 6 jours. Et ensuite, il y aura la congélation générale.
Et après, le consistoire et l’élection du prochain pape. Le Pape Jean-Paul II est né au ciel le 2 avril. Et le 19, on a eu le Pape Benoît XVI.
C’est pour dire qu’en 17 ou 18 jours, au maximum, on aura un nouveau pape voulu par l’Esprit Saint.
Que retenez-vous personnellement de la figure du pape François ? Et en quoi a-t-il influencé votre propre mission pastorale ?
C’est vrai que le pape François a influencé ma mission pastorale. J’aime le pape François parce qu’il est proche du monde, du peuple. Ensuite, il est un bon communicant.
C’est un pape politiquement très courageux, prophétique. Et il prend les décisions les plus extrêmes. Il a une parole sûre. Une parole perspicace. Une parole de vérité et d’espérance. Quand on lit ses encycliques, toutes les lettres qu’il a publiées, on peut se dire que c’est le pape qui comprend les enjeux d’aujourd’hui. Il met l’Église sur orbite pour le futur.
La succession du pape François, tel que vous venez de le dire, on l’aura dans les 18 ou 20 jours qui vont suivre. Alors, aura-t-on enfin un pape africain ? Comment ça se passe ? Beaucoup parlent déjà notamment du cardinal guinéen Robert Sarah qui est pressenti à côté de l’évêque de Marseille aussi. Mais qu’en pensez-vous déjà ?
Bon, le Cardinal Robert Sarah a bientôt 80 ans, l’été prochain. Je ne pense pas à Sarah parce que, vu l’âge, mais vu aussi que Sarah représente un courant très conservateur.
Et moi, en tant qu’Africain, je trouve que Sarah ne se prononce pas sur les questions de l’Afrique. Les questions d’insécurité, de paix en RDC, on ne le voit pas trop.
Les questions sur le pouvoir politique en Afrique, où des gens s’éternisent au pouvoir. On ne l’entend pas parler de l’Afrique. Il parle de l’église centrale. Il parle de l’église au Vatican, de l’église en Europe. En revanche l’Eglise en Afrique, il ne se prononce pas là-dessus. Moi, ça me peine.
Mais je suis consolé quand j’écoute l’archevêque de Kinshasa, l’archevêque de Bangui, qui sont beaucoup plus engagés, parce qu’ils sont peut-être sur le terrain.
Mais n’oublions pas Tucson, le Cardinal ghanéen, qui évolue au Saint-Siège. Moi, je ne pense pas vouloir rester dans une bulle pour dire qu’on aura un prochain pape africain, non.
Ayons un pape qui soit fondamentalement de l’Église, qui aime l’Église, qui enseigne, et qui fasse réellement la promotion de ce que nous avons de plus cher, l’Évangile.
Vu que le pape François était un jésuite, est-ce que vous pensez aussi que, toujours dans le cadre des prochaines désignations, ce serait plutôt un diocésain ? Parce que c’était un peu inédit dans l’histoire de qu’un jésuite soit élu à la tête au Vatican.
Les spécialistes vaticans et les journalistes vaticans disent qu’on a eu un pape polonais, allemand, argentin, qu’on risque d’avoir un pape italien. La papauté va retourner en Italie. Donc, nous verrons.
Tout compte fait, laissons l’Esprit-Saint agir dans les cœurs, dans les esprits, et que le Seigneur donne à l’Église le Pape qu’il nous faut pour le temps que nous traversons.
Interview réalisée par Emmanuel Dulac HOUSSOU