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Le français au biberon et à la maison : la nouvelle tendance des parents

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Le désamour pour les langues locales gagne du terrain dans de nombreux foyers. Dans certaines maisons, la langue de Molière est devenue la langue sacrée, la seule autorisée. On la manie avec fierté, alors qu’on balbutie dès qu’il s’agit de s’exprimer en langue maternelle. Petit à petit, les langues nationales désertent la cellule familiale. Enquête.

Alexia Lumière-Christina ADJOU-MOUMOUNI

Dépaysé ! Comme beaucoup de jeunes, Gilchrist peine à s’exprimer dans sa langue maternelle sans y glisser quelques mots de français. « Avec un papa intransigeant, c’était le français ou… le français », dit-il dans un sourire un peu amer.  Parler français faisait partie du règlement intérieur. « Chez moi, on ne parlait que français. C’était comme une seconde nature », confie Gilchrist, élevé dans un bain linguistique francophone dès la naissance. Lectures en famille, conversations soignées: tout était fait pour affûter son expression. C’est chez sa grand-mère qu’il découvre le fon, sa langue maternelle, qu’il apprend peu à peu, sans jamais l’assimiler pleinement. « Même quand on me parle fon, je réponds en français… ou en mélangeant ».  Aujourd’hui, il comprend un peu le fon, ignore le nago – sa langue paternelle – mais garde une certitude: « Le français m’a ouvert l’esprit… mais il m’a aussi éloigné d’une partie de moi ».  Pour les parents de Gilchrist – et pour beaucoup d’autres – la langue locale est une distraction, une perte de temps, voire un frein à la réussite.

Un choix assumé, mais à quel prix?

 C’est plus facile pour un enfant de comprendre une langue qu’il entend partout », explique un autre parent rencontré dans un quartier de Cotonou. « Moi, je fais tout pour que mes enfants aient un bon niveau à l’école. Et pour ça, il faut qu’ils pensent, qu’ils rêvent même en français ».

Étranger chez soi « À force de parler le français comme les Français, ne finit-on pas par devenir moins béninois que les Béninois? Un observateur confie, presque gêné:

« J’ai assisté à une scène qui m’a marqué. Un petit garçon, d’environ 10 ans, est allé acheter une allumette. La vendeuse lui a demandé 100 francs, pensant qu’il était étranger ». Le fossé se creuse. Entre identité et modernité, beaucoup de familles semblent avoir choisi leur camp. Mais à force de taire leurs langues, ne risquent-elles pas aussi d’étouffer une part d’elles-mêmes?

Quand l’école s’inquiète du français à la maison

Si parler français à la maison est devenu un signe d’ascension sociale, Christian GNINOU, enseignant au primaire, s’inquiète de cette rupture silencieuse avec les langues maternelles. «C’est une perte préoccupante», alerte l’instituteur. «Chaque langue véhicule une vision du monde, une richesse affective qu’aucune autre ne peut remplacer ».

Dans sa classe, il observe les effets de ce glissement: des enfants qui peinent à se situer, parlant un français parfois fragile, coupés de leurs racines, incapables de comprendre les récits des anciens. «Cela crée une fracture identitaire. L’enfant perd un lien précieux avec sa communauté ».  Mais loin du fatalisme, l’éducateur plaide pour une cohabitation harmonieuse des langues. «La langue maternelle est une base solide. Elle structure la pensée, soutient le raisonnement. Le bilinguisme est un atout, pas un obstacle ».

L’école, dit-il, peut et doit agir. Comment? En valorisant les langues locales à travers des contes, du théâtre, des concours. En intégrant les familles. En montrant, symboliquement et concrètement, que ces langues comptent. «Nos langues ont de la valeur. Et elles méritent d’être transmises », conclut-il.

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