C’est une lapalissade que toute expérience quelle que soit sa nature, connait en dernier ressort, une fin. Et l’exercice de la présidence de la République est une expérience, quand bien même hors pair. Elle a donc logiquement une fin à un moment où a un autre sans égard à la manière dont cette fin intervient.

L’essentiel, c’est le rôle qui devra être celui d’un ancien chef d’Etat au sein de la société après avoir vécu cette expérience de gestion de l’État dans toutes ses méandres et en avoir maîtrisé toutes les ficelles. Sans égard à la manière dont il aura quitté le pouvoir, disais- je, car il est de notoriété publique que les chefs d’Etat ne remettent pas toujours leur fauteuil en jeu de gaité de coeur. C’est à se douter que quelque chose les y fixe et qu’aucun autre citoyen n’est à même de les remplacer à la tête de l’Etat. Les cas du genre émaillent la scène politique de nos jours où des chefs d’Etat se sont maintenus ou cherchent à se maintenir au pouvoir, au-delà de la période prescrite par la loi fondamentale de leur propre pays. Et cela, soit par la force et conséquemment le fait accompli soit en tordant, avec la complicité des parlementaires, le cou à ladite loi qui en limite le temps d’exercice.
L’ATTACHEMENT DU CITOYEN AU RESPECT DU MANDAT PRÉSIDENTIEL
Il convient de reconnaître que notre pays a, quant à lui, réussi jusqu’alors à se mettre en marge de pareille dérive ; et nous pouvons nous en féliciter tout en gardant en mémoire que cela n’a pas été pas sans coup férir. En effet, le peuple béninois a toujours su tenir en respect tout ce qui est susceptible de troubler l’ordre établi en matière de mandature présidentielle.
‘’ Monsieur le Président, ne touchez pas à ma Constitution’’. Ce fut le cri de ralliement en usage dans notre pays pour exprimer l’opposition à toute tentative de modification de la Constitution de décembre 1990, notamment en ce qui concerne la limitation des mandats présidentiels . L’on se rappelle qu’en l’année 2005 vers la fin du deuxième quinquennat du Président Mathieu Kerekou qui arrivait à terme en avril 2006, l’organisation non gouvernementale ELAN avait lancé l’opération ‘’ Touche pas à ma constitution’’ pour le dissuader de briguer un troisième mandat que d’aucuns souhaitaient. L’on se remémore également qu’en 2014 sous le régime du Président Boni yayi, le » Front pour le sursaut patriotique’’ avait posté sur de grands panneaux publicitaires, des affiches figurant un enfant en pleurs suivi du message suivant : ‘’ Pardon ‼! touche pas ma Constitution’’ , ou le roi Behanzin suivi du même message. Le slogan était revenu au devant de la scène politique en l’année 2019 avec le Président Talon. C’est alors qu’ après moult péripéties, celui-ci confirma et systématisa la pratique des deux mandats à tout jamais. Plus qu’un slogan, la formule ‘’Touche pas ma Constitution’’ qui a pu traverser avec la même constance trois régimes, est ainsi devenue le symbole de l’attachement du peuple béninois à la démocratie dont il continue d’être l’élève. La Constitution garantit deux magistratures certes, mais au finish, qu’a-t- elle prévu pour les chefs d’Etat en fin de parcours quant à leur rôle dans la société ?
PLACE ET UTILITÉ DES ANCIENS CHEFS D’ETAT DANS LA SOCIÉTÉ
En terme de positionnement, il est évident qu’un chef d’Etat en fin d’exercice ne peut être considéré dans la société comme un citoyen ni un politique ordinaire ; et pour cause. Il a rassemblé une somme d’expériences en matière de gestion d’Etat que, du reste, il se doit moralement et en principe de mettre au service de ses successeurs. Et notre opinion est que la Constitution de notre pays devrait en faire cas. Mais, lue de part en part , l‘on n’y trouve aucune disposition y relative. Peut- être devrait – on y réfléchir !
En terme d’utilité, nous devons nous fonder sur le fait que nous avons encore parmi nous deux anciens chefs d’Etat déchargés de leur mission présidentielle, ne donnant toutefois pas l’impression d’avoir raccroché en politique ; tant s’en faut. A preuve préliminaire, leur statut social actuel en dit long: ils continuent d’animer la vie politique. L’ un d’eux est ni plus ni moins chef du parti de l’opposition déclarée et officielle tandis que l’autre se fait habituellement critique influent du gouvernement bien que n’occupant aucune position officielle dans un quelconque parti politique. A preuve déterminante, il n’est que d’ évoquer leurs bons offices dans le différend qui oppose depuis deux ans déjà notre pays et le Niger suite au coup d’Etat intervenu dans ce dernier pays en juillet 2023 qui a entraîné sa suspension de la CEDEAO ainsi que l’imposition de sanctions à son encontre. Cependant, il sied de reconnaître que leur mission auprès du chef d’Etat nigérien a été plutôt sybilline. Deux anciens chefs d’Etat non membres de la mouvance présidentielle qui ont pris à titre privé et à leur risque et péril, l’initiative d’aider le Président en exercice à trouver une issue à un différend qui affecte les relations entre leur pays et un pays voisin. Le Président Talon ne les a pas dépêchés à Niamey, mais il a eu la clairvoyance de ne pas les empêcher de s’y rendre ni de rendre leur mission difficile. La démarche devrait faire date dans notre histoire diplomatique ; c’est, de notre point de vue, un cas d’école en matière de collaboration ostensible quand bien même non officielle entre le pouvoir en place et l’opposition en vue du règlement d’un différend entre deux Etats. Il est vrai que le résultat n’a pas été probant immédiatement. Qu’à cela ne tienne ! Dans le processus diplomatique les petits pas ont leur signification de même que leur importance. La complexité de certains conflits requiert que leur résolution se fasse par étapes et quelques fois ces étapes elles-mêmes se déroulent non pas en linéaire, mais en dents de scie sollicitant un bon savoir- faire diplomatique. Notre diplomatie a encore fort à faire pour trouver une porte de sortie à cette crise qui perdure. Au reste, le mérite de l’ initiative des deux anciens chefs d’Etat non membres de la mouvance présidentielle est qu’elle avait implicitement mis l’accent sur le fait que le différend avait une répercussion hautement sociale du fait qu’il affectait au premier chef deux peuples frères unis par l’histoire, la géographie et les populations qui cohabitent depuis toujours, et non pas seulement les deux Etats. La démarche a par ailleurs signifié que c’est le peuple béninois tout entier sans égard à sa chapelle politique qui s’est rangé du côté du Président Talon pour rechercher l’apaisement de ce différend. Quand bien même n’aurait- elle pas porté tous les fruits auxquels l’on pouvait s’attendre , elle a eu le mérite d’avoir été initiée et entreprise grâce à la complicité de deux anciens Présidents de la République pourtant en rupture politique avec le pouvoir en place. La chose mérite d’être encouragée. Alors, notre questionnement est le suivant :
DANS QUELLE STRUCTURE OFFICIELLE LES ANCIENS CHEFS D’ETAT PEUVENT- ILS SE RENDRE UTILES EN TOUT TEMPS A NOTRE PAYS ?
La nécessité de tirer le meilleur parti des expériences des anciens chefs d’Etat africains et de soutenir les actions des gouvernements s’est déjà fait sentir au plan régional et a abouti dès janvier 2006 à la création par l’Union africaine, du forum des chefs d’Etat africains et de gouvernement communément dénommé Forum Afrique. En en ce qui concerne notre pays, le cadre dans lequel nous souhaitons que les anciens présidents de la République transmettent leurs expériences mais aussi leur savoir-faire à leurs successeurs, soit un organe de concertation susceptible de conseiller et d’épauler le chef de l’Etat en exercice dans les moments difficiles et à sa demande. Pour agir efficacement, il devra à notre avis, comporter des politiques que seront d’office tous les anciens chefs d’ Etat , les trois plus anciens présidents de l’Assemblée Nationale, ainsi que des juristes que seront les trois plus anciens présidents du Cour Constitutionnelle. Et pourquoi ne pourrait-on le dénommer tout simplement ‘’ Haut Conseil de Soutien à la République’’ de compétence tant pour les affaires nationales que pour les relations internationales ? Nous recommandons que cette structure tripartite soit inscrite dans la Constitution qui devra en préciser et limiter le rôle. Son avantage résiduel sera d’éviter que le Chef de l’Etat en exercice se retrouve seul face-à-face avec d’anciens chefs d’Etat avec le risque que ces derniers se mettent systématiquement en travers de ses actions, le cas échéant.
Ambassadeur Ahouansou Candide