Arsène AZIZAHO
C’est l’aventure musicale de X-Time et Ghix, deux jeunes artistes béninois, qui, lors d’une virée au studio de Raunybeatz (beatmaker et ingénieur du son), tombent sur ce qu’ils appellent “l’or brut” de leur nouveau concept. Une nouvelle identité sonore béninoise est née : Adjapiano. Derrière ce nom intriguant se cache une volonté affirmée : donner une voix moderne à une mémoire ancestrale. À la croisée des traditions Adja (Gogohoun) et des tendances musicales sud-africaines (Amapiano), l’Adjapiano s’impose comme le cri contemporain d’une génération en quête de repères culturels et artistiques. Le Gogohoun est un rythme festif traditionnel du sud Bénin précisément Adja (créé par le regretté Dahoue Doto) dont X-Time et Ghix se disent aujourd’hui « héritiers légitimes ». Longtemps réservé aux cérémonies traditionnelles dans la région Adja, le Gogohoun se marie ici à des nappes électroniques et des basses percutantes pour produire un son inédit, fédérateur et dansant. L’Adjapiano ne se contente pas d’être une énième mode musicale : c’est une renaissance. Une passerelle entre les générations, un pont entre le Bénin et le monde. Cette nouvelle identité musicale, fruit d’une alchimie entre le Gogohoun et l’Amapiano, est l’œuvre de trois artistes visionnaires réunis sous le label “Je Viens Du Bénin” (JVDB) : X-Time, Ghix et Raunybeatz.
X-Time : L’architecte du son urbain enraciné

Derrière le pseudonyme X-Time, se cache Ludinno Agossévi, rappeur, réalisateur et activiste culturel. Il a fait ses premiers pas à l’école à Dogbo, son cours secondaire à Lokossa au Collège catholique de Comè et à Ouidah. Il fait son cursus universitaire à Verechaguine où il obtient son master en ingénierie bâtiment. De Dogbo à Ouidah, puis de l’université Verechaguine à sa vie artistique, son parcours illustre un esprit de synthèse entre modernité et enracinement. Avec Ghix et Raunybeatz, X-Time mène depuis des années une quête : offrir à la musique urbaine béninoise une véritable identité. À leurs débuts, ils explorent la fusion du Gogohoun avec le rap, la trap ou l’afrobeat. Mais c’est avec l’arrivée de l’Amapiano qu’ils trouvent l’équilibre parfait. « Le Gogohoun est un rythme de chez nous. Il fait danser, il nous a bercés. En le modernisant, on crée une bibliothèque vivante de notre culture », explique-t-il. Aujourd’hui, X-Time n’est plus simplement un artiste, il est un passeur. Il forge une voie pour que les sonorités du terroir rencontrent la scène mondiale. « Le succès n’a pas de formule exacte, mais le Adjapiano fonctionne parce qu’il est authentique. Il touche notre mémoire musicale collective », confie-t-il. Sa vision va bien au-delà de la musique : elle est politique, culturelle, et générationnelle.
Ghix : L’ingénieur du flow et de la fusion

Ghix, de son vrai nom Gislain Adjalla, fait toutes ses études primaires et secondaires à Dogbo. Titulaire d’un Master en administration des finances et du trésor obtenu à l’ENAM à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), il conjugue rigueur académique et créativité artistique. Son parcours dans le hip-hop béninois débute très tôt. À 10 ans, il danse. À 15 ans, il rappe avec le groupe M16. Même si le groupe ne sortira pas de morceaux officiels, la passion ne l’abandonne jamais. Avec son style unique, qui mélange rap et mélodies dansantes, Ghix conquiert peu à peu la scène. En 2016, il marque les esprits au concours Moov Test Mon Flow. Il enchaîne alors les singles comme Assoklé, Nobody ou encore Gnonnou. En 2017, il est signé par la maison camerounaise Hope Music Group, ce qui renforce sa notoriété à l’international. Mais c’est avec X-Time et Raunybeatz qu’il réalise l’un de ses rêves les plus chers : bâtir un mouvement. Ensemble, ils fondent le label “Je Viens Du Bénin” et sculptent le son Adjapiano. Pour Ghix, cette fusion n’est pas une simple trouvaille musicale. « La vision est de multiplier les collaborations internationales, être présent sur la scène internationale, que ça soit sur des festivals ou des concerts, que tous les béninois sachent qu’on a désormais une carte d’identité musicale avec laquelle on va les représenter fièrement dans le monde », a-t-il avoué. A travers ces lignes, c’est une forme de revendication : celle d’une jeunesse qui embrasse ses racines musicales tout en regardant vers l’avenir.
Raunybeatz : Le discret génie de l’ombre devenu lumière

Derrière les beats puissants du Adjapiano, il y a Raunybeatz. De son vrai nom Raunad Sagbohan, il est beatmaker, ingénieur du son, producteur, mais aussi artiste. Longtemps dans l’ombre, il s’est imposé comme l’un des architectes de la nouvelle identité musicale béninoise. C’est au collège que ce passionné commence le beatmaking. En 2015, il fonde Black Légion Studio, et plus tard, Royale Kids Académie, avec un rêve : faire éclore une génération musicale affranchie des codes étrangers. Inspiré par les géants comme Dr Dre et Metro Boomin, Rauny ne tarde pas à laisser son empreinte. En 2016, il connaît son premier succès avec Trélélé de TiBoy, et enchaîne les collaborations avec des artistes tels que Crisba, X-Time, Vano Baby ou Blaaz. Visionnaire, Rauny lance dès 2023 l’aventure Adjapiano avec X-Time et Ghix, en y injectant le savoir-faire de ses expériences antérieures. Mais cette fois, il décide aussi de sortir de l’ombre. Le 10 février, jour de son anniversaire, il dévoile ‘‘J’ai Dit’’, son tout premier single en solo, affirmant ainsi sa voix en tant qu’interprète.
Adjapiano a pris son envol
Les trois précurseurs du mouvement Adjapiano peuvent en être fiers. Deux ans après avoir mis le Bénin sur l’orbite d’une identité musicale qui allie tradition et modernité, leurs succès est couronné par un géant concert essentiellement Adjapiano, en avril dernier. On peut dire que le Adjapiano a désormais pris son envol grâce à trois pionniers : le producteur Raunybeatz, qui pose la base sonore, et les deux artistes X-Time et Ghix, qui incarnent le mariage du traditionnel et du moderne. En tout cas, le mouvement continue d’attirer maints artistes, aussi bien nationaux que dans la sous-région. C’est autant à leur actif qu’à celui du Bénin. Et dire que le Adjapiano ne fait que commencer. Pourtant, c’est déjà une identité, un cri, un symbole. Et surtout, une promesse : celle d’un Bénin qui vibre, qui innove et qui rayonne sur le plan musical.