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Adjapiano : la révolution musicale béninoise partie du Gogohoun

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Adjapiano est né dans un petit studio, d’une envie sincère d’en finir avec les copies fades. Il a grandi grâce à la persévérance de quelques artistes passionnés. Et il a conquis les cœurs par sa capacité à mêler l’héritage et l’avenir, le rythme des ancêtres et la vibration de la jeunesse. Plus qu’une mode, c’est un mouvement culturel. Et ce n’est que le début.

Patrice SOKEGBE

Dans les rues de Cotonou, sur TikTok, ou dans les taxis-motos de Bohicon, un mot résonne comme un mantra dans l’univers musical béninois : Adjapiano. Ce terme aux sonorités à la fois locales et sud-africaines, fusion de « Aja », une référence au peuple et au rythme traditionnel béninois « Gogohoun » et « Amapiano », genre électronique sud-africain, incarne une révolution musicale née d’un long processus de quête artistique et identitaire. Plongée dans l’histoire fascinante d’un courant devenu viral, conçu bien plus par conviction que par calcul.

Tout commence vers 2018, dans une atmosphère de remise en question. Une bande d’artistes menés par XTime se lasse du conformisme ambiant : « tout le monde rappe comme les Américains…L’idée était de sortir des sentiers battus pour inventer quelque chose de profondément béninois. Mais par où commencer ? Par la langue, par l’accent local ? Par les expressions de quartier ? Ou bien par la musique elle-même ? ». C’est la dernière option qui s’impose. L’équipe cherche alors un rythme propre au Bénin, quelque chose qui groove, qui parle à l’inconscient collectif. Ils tombent sur le Gogohoun, rythme percussif endiablé, typique des cérémonies funéraires chez les peuples Aja du sud-ouest béninois. « J’étais à un enterrement et j’ai entendu ça. J’ai su immédiatement que c’était une dinguerie », raconte XTime.

Mais il reste à convaincre. À ses débuts, l’idée de mélanger Gogohoun et rap n’est pas bien reçue. Son ingénieur de son, Busy Brain, d’origine bénino-ghanéenne, trouve cela « trop bruyant » et peu professionnel. Malgré des essais, le projet stagne. C’est alors qu’entre en scène Raunybeatz, jeune beatmaker prometteur, curieux et ouvert. L’alchimie opère immédiatement. Ensemble, ils expérimentent, mêlant Gogohoun et trap, puis drill et Gogohoun, créant une forme hybride appelée à ce moment-là « trappe Gogohoun ».

Cette fusion est une révolution sonore en gestation. Les artistes posent des couplets, testent des refrains, jouent avec les codes. Petit à petit, ils façonnent un son qui leur ressemble, entre tradition et modernité. Mais la bascule définitive, le coup de génie, surviendra presque par accident.

Naissance de l’Adjapiano

C’est lors d’une session de studio anodine que tout change. XTime, Raunybeatz, et d’autres membres du label JVDB Company (Je Viens Du Bénin) sont venus enregistrer un freestyle. Rauny leur fait alors écouter quelques beats Amapiano, ce style sud-africain alors en vogue. L’un d’eux frappe immédiatement l’oreille du collectif. Mais plutôt que de le reprendre tel quel, XTime propose une transformation radicale : enlever les éléments typiques de l’Amapiano et les remplacer… par du Gogohoun.

Le résultat est explosif. « C’était incroyable la sensation. Tu sais quand tu cherches un truc depuis longtemps, et que tu tombes dessus d’un coup ? Voilà, on savait qu’on avait trouvé », raconte-t-il. En studio, c’est l’euphorie. Ils posent un premier couplet, un refrain, et appellent ça sans trop réfléchir Adjapiano. Le nom vient d’un simple fichier exporté, combinant « Aja » pour le Gogohoun et « piano » de l’Amapiano. Le mot sonne juste. L’identité est trouvée.

Sans plan marketing, sans clip officiel, une simple story WhatsApp avec un extrait audio va tout changer. Les réactions sont immédiates et massives. Les messages affluent. Les pages Facebook s’emballent. Le son devient viral en quelques heures. Le public ne sait pas encore exactement ce qu’il écoute, mais il sait que c’est nouveau, frais, et surtout local.

C’est là que réside la force du Adjapiano : c’est une musique née du sol, d’un instinct, d’une vérité culturelle. Ce n’est ni une imitation, ni une récupération marketing. C’est un cri, une joie, un code sonore propre au Bénin. Sur TikTok, les challenges se multiplient. Sur YouTube, les freestyles s’enchaînent. Le rythme est adopté, approprié, célébré.

Derrière cette percée, on trouve aussi l’histoire d’un label et d’une fraternité. Le label JVDB devient le laboratoire de cette alchimie. XTime y encadre plusieurs artistes, dont Ghix, jeune rappeur à l’histoire rocambolesque. Découvert alors qu’il dansait dans les rues de Dogbo, signé très tôt, Ghix avait pourtant failli abandonner la musique après un premier album passé inaperçu. Mais l’émergence du Adjapiano lui redonne foi. Son freestyle en collaboration avec XTime sur le morceau Freestyle JVDB Part 1 est l’un des premiers jalons du nouveau courant.

Ce n’est pas un hasard si Adjapiano est né d’un collectif. Il ne s’agit pas d’un ego-trip, mais d’une œuvre partagée. Le son se fabrique à trois, à cinq, en studio, entre frères de galère et de sueur. Il est à la fois outil de réinvention personnelle et projet de renaissance communautaire.

Et surtout, il réconcilie le Bénin avec sa propre musicalité. Trop longtemps, les artistes locaux ont cherché la reconnaissance en copiant des modèles extérieurs. Adjapiano inverse la logique. Il part du terroir, pour conquérir le monde. C’est une posture artistique, mais aussi politique. C’est dire au monde : « voici qui nous sommes, et nous ne nous excuserons plus d’être différents ».

Aujourd’hui, le terme Adjapiano s’est imposé. Il ne désigne plus seulement un style musical, mais un courant, un souffle, une attitude. Des DJ aux écoles de danse, des rappeurs aux influenceurs, tout le monde s’en empare. Et pour cause : il incarne l’un des plus beaux succès récents de la musique béninoise, un succès remarquable.

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