0 CFA

Votre panier est vide.

Fraude avec des instruments de mesure non conformes : le commerce sur fond de méfiance

Date :

Au Bénin, des soupçons de fraude pèsent toujours et se multiplient contre l’usage des instruments de mesure non certifiés dans les transactions commerciales. Interdite et réprimée par les textes en vigueur dans le pays, cette pratique divise clients et commerçants.   

Joël SEKOU (Coll.)

« J’ai été grugé par le pompiste d’une station-service à Agla qui m’a servi une quantité d’essence de moins de 3.000FCFA que j’ai payés », lâche Pierre sur un ton amer. Dépité par ce qu’il qualifie de vol, il poursuit : « C’est à mon arrivée à la maison que je me suis aperçu de cette supercherie quand l’idée m’est venue d’ouvrir mon réservoir ». En dehors des stations-services, des poissonneries, des boucheries et autres sont sur la sellette. Dame Gisèle, restauratrice à Porto-Novo (située à plus de 30 kilomètres à l’Est de Cotonou) raconte son amertume : « J’ai demandé à acheter 5 kilogrammes de poissons frais par l’intermédiaire d’une petite sœur à moi. La vendeuse lui a servi moins de 5 kilogrammes ». En colère, elle décide d’aller voir la gérante pour se plaindre. Soldé par un échec, son déplacement à la poissonnerie a tourné en de vives altercations entre les deux. « Je suis sûre qu’elle a truqué son appareil, car ce qu’elle m’a vendu ne fait pas le poids convenable », se désole-t-elle. Face à cette situation, Robin Accrombessi, président de l’Association ‘’La Voix des consommateurs’’ rompt le silence et s’indigne : « Cette pratique cache une arnaque de la parts des commerçants où le client perd énormément ». Sur le marché, l’usage des instruments de mesure hors norme fait l’objet de soupçons de fraude. L’Agence nationale de normalisation, de métrologie et du contrôle qualité (ANM), un bras opérationnel du ministère de l’industrie et du commerce (MIC), reçoit en cascade des dénonciations des supposés clients victimes de l’arnaque. « De plus en plus de consommateurs se plaignent qu’ils sont grugés lors des achats avec des instruments de mesure non conformes », signale Abdel Madjid Adélakoun, chef cellule de la communication de l’ANM.

Gagner à tout prix

Des instruments de mesure non certifiés inondent le marché. Beaucoup d’acheteurs, par ignorance ou par défaut d’informations, tombent dans le piège des vendeurs en quête effrénée du profit. « La recherche de gain préoccupe les opérateurs économiques qui n’hésitent pas à abuser de ce que le consommateur n’est pas très bien informé en utilisant des appareils de mesure non homologués », justifie Robin Accrombessi.  Jean Baptiste Elias, président du Front des organisations nationales de la lutte contre la corruption (FONAC) renchérit: « Certains vendeurs arrivent à traficoter les instruments de mesure pour gagner davantage sur les acheteurs ».

D’autres stratégies pour endormir les consommateurs et les missions de vérification mises en branle. « Au port de pêche de Cotonou, des vendeurs mettent des balances certifiées sous la table et celles non certifiées en haut qu’ils utilisent pour vendre aux clients », révèle un contrôleur de l’ANM sous l’anonymat.

 Interpellés sur leur réticence à propos de la certification des outils de pesage, la plupart des  marchands évoquent deux raisons.   Si certains estiment que le coût est trop élevé, d’autres jugent tracassière la procédure d’homologation. Gérant d’une Boucherie au quartier Mènontin à Cotonou, Mohamed Ahouandjinou dévoile sa démarche qui a abouti à la certification de son unique appareil de pesage d’une capacité maximale de 20 kilogrammes. « Je suis d’abord allé à l’ANM pour prendre le compte bancaire sur lequel j’ai fait le dépôt de 5.000FCFA à la Banque pour obtenir la quittance. Avec cette quittance, je suis retourné à la direction de l’ANM pour chercher le reçu pour ensuite me rendre au laboratoire à Akpakpa pour aller certifier ma balance ». Des affirmations confirmées par Dame Christine, responsable d’une poissonnerie à Calavi (10 kilomètres au Nord de Cotonou). Elle a certifié deux balances en payant un montant de 10.000fcfa. « Je suis d’abord allée à la banque virer l’argent et revenue prendre le reçu. Ensuite, ils m’ont renvoyée à Akpakpa pour la certification de mon appareil », confie-t-elle. Des tarifs de certification qui varient entre 4500fcfa et 5000fcfa selon le type de balance, confirme une source proche de l’ANM. La plupart des vendeurs importent leurs appareils de mesure du grand voisin de l’Est du pays. Mais, sous informés, bon nombre de commerçants demeurent étrangers au système d’homologation sur le marché béninois. « C’est au Nigéria que nous achetons les balances. Nous n’avons pas suffisamment d’informations sur la procédure de certification », a confié Véronique Agli, commerçante à Dantokpa.

  Pèse-poids saisis, pompes sous scellés   

Au cours du premier trimestre de l’année 2025, près de 300 instruments de mesure non certifiés en majorité des balances ont été confisqués par l’ANM auprès de 210 poissonneries et chambres froides. Dans le secteur des hydrocarbures, un coup de filet mené par l’équipe des contrôleurs de cette agence a donné plusieurs stations-services mises sous-scellés pour défaut de certification.  Des bascules et des pèse-poids non conformes ont été saisis dans de nombreux marchés, notamment à Dantokpa à Cotonou. L’ANM dénonce la désobéissance de nombreux commerçants qui ne certifient pas leurs outils de mesure.  Car, justifie un contrôleur de l’agence, avant toute répression, les agents descendent pour opérer la vérification et la certification. « Aussitôt des instruments confisqués lors des contrôles, le commerçant est mis sous convocation. En répondant à la convocation, il paie la vérification et l’amende avant de récupérer son instrument de mesure », a expliqué un agent dans un journal de la place.

 Le décret 86-216 du 30 mai 1986 portant règlementation générale des instruments de mesure en République du Bénin dispose en ses articles 8 et 12 : « Tout instrument de mesure doit subir la vérification primitive avant sa première mise en service et la vérification périodique lorsqu’il est déjà utilisé dans les transactions commerciales ». Lorsque la balance est conforme, l’ANM appose une vignette verte valable pour un an. Un an après, le propriétaire est tenu de la soumettre à une nouvelle vérification, appelée vérification périodique. « Si l’instrument est déclaré non conforme, on appose une vignette rouge et nous procédons à sa saisie, car nous ne pouvons pas être sûrs qu’il ne sera pas utilisé malgré sa non-conformité attestée », détaille un autre contrôleur de l’ANM.  « Nous ne pouvons pas laisser les commerçants gruger les populations avec des instruments de mesure non conformes », martèle Abdel Madjid Adélakoun.

  Le même décret exige des sanctions en cas de violation de ces dispositions. Suivant le type d’instrument de mesure en cause et suivant la nature des infractions sur les instruments de mesure les sanctions varient, d’une part, de 10.000FCFA à 1.000.000 FCFA et d’autre part de 500.000FCFA à 100.000.000FCFA. « Nous avons la possibilité, dans les cas donnés, de poursuivre les personnes en cause au tribunal si les infractions sont constatées », ajoute le chef de la communication de l’ANM.

  Arrêter la saignée

L’usage des instruments de mesure non certifiés entraîne de graves conséquences. Si les consommateurs sont escroqués, l’Etat enregistre des pertes en raison de cette pratique. « Cela jette de discrédit sur les efforts consentis par le gouvernement dans l’assainissement du marché », commente un cadre du MIC. Pour Shadiya Alimatou Assouman, ministre de l’industrie et du commerce, la qualité passe forcément par un bon système de mesurage. A ce titre, Jean Baptiste Elias propose : « Il faudrait que tous les instruments de mesure soient inspectés et certifiés pour donner de vrais résultats ». Gratuité, baisse des tarifs d’homologation des appareils de mesure et certification systématique. Autant de pistes de solutions explorées pour encourager des commerçants à certifier leurs systèmes de mesurage. « A l’achat, il faut faire en sorte que ces instruments soient systématiquement certifiés », suggère l’ex-président de l’Autorité nationale de  lutte contre la corruption (ANLC).   Robin Accrombessi invite l’Etat à prendre des mesures incitatives en revoyant à la baisse les tarifs de certification des appareils de mesure. « S’il n’y a pas de vignette verte sur les instruments de mesure, les consommateurs doivent réclamer ou signaler », sensibilise un agent de l’ANM. Un message que  semble comprendre Pierre, une fois déjà victime: « Désormais, je resterai vigilant pour ne plus me faire escroquer ».

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Partager

spot_img

Populaires

dans la même catégorie
Articles

Le Président Patrice TALON au Musée national du Qatar

Dans le cadre de sa visite de travail au...

Faits divers : un chat intercepté dans une prison avec un paquet de drogue

Un chat a été rattrapé dans une prison au...

Médias béninois en deuil : Apollinaire Ezin Baba s’en est allé

La presse béninoise traverse une période sombre. En l’espace...

Drame à Houéyogbé : un fils tue son père, invoquant une voix spirituelle

Un meurtre d’une rare violence secoue la localité de...