Professeur Titulaire de Parasitologie-Mycologie à l’Université d’Abomey-Calavi, Dorothée Akoko Kinde-Gazard a été Ministre de la Santé au Bénin, sous les présidents Mathieu Kerekou et Thomas Boni Yayi. Chevalier de la Légion d’Honneur de la République française et Prix Harvard des leaders de la Santé à Boston aux Etats-Unis, cette mère de trois enfants est une femme brillante, humble, rigoureuse et engagée pour le bien-être.
Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)

A Clara Lucci
Ma chère enfant,
Je ne saurais te dire pourquoi je suis restée figée mais aussi très attentive à t’écouter pendant la minute qu’a durée notre conversation le jour où nous nous sommes rencontrées. Étaient-ce ta coupe de cheveux naturels et ton style vestimentaire sobre ou la détermination perceptible dans tes yeux et la clarté de tes propos ? Peut-être tout ça à la fois ! Je n’ai retenu ton prénom qu’au moment de nous séparer mais j’étais convaincue de ta noble ambition : tu veux devenir médecin. La pression de mon programme suivant n’a pas permis que nous parlions longuement. Alors je t’écris pour t’éclairer et plus encore pour t’encourager.
A notre millénaire, un médecin de sexe féminin ne suscite pas la curiosité : c’est socialement admis et tu pourrais ne pas mesurer la chance que tu as.
Tu dois savoir que la carrière scientifique ne fut pas toujours accessible aux femmes, encore moins les sciences de la santé. La femme ne put entreprendre des études pour aborder une carrière médicale.
Agnodice, la première femme reconnue dans l’histoire, dans la Grèce Antique, à Athènes, 350 avant Jésus –Christ, dut se déguiser en homme pour suivre les cours de médecine. L’étudiante passa brillamment ses examens et devint gynécologue. Les patientes affluant à son cabinet, ses collègues devinrent jaloux. Les médecins hommes firent courir le bruit de séduction et de viol des femmes mariées par ce gynécologue.
Assigné en justice, le médecin se vit contraint de révéler son sexe au tribunal devant les juges, en se dénudant. Selon les juges, il fut noté une violation de la loi, du fait de la pratique d’une branche de la médecine interdite aux femmes. Elle risqua une lourde condamnation.
Alors ses patientes reconnaissantes, épouses des nombreux citoyens, prirent la défense du médecin, en refusant de consulter des gynécologues hommes. Elles arguèrent de se laisser mourir plutôt que de recourir aux médecins hommes. Face à la détermination de ces épouses, les magistrats acquittèrent Agnodice qui fut autorisée à exercer la médecine en sa qualité de première gynécologue de la Grèce. L’année d’après, une loi fut promulguée qui autorisa les femmes à étudier et à pratiquer la médecine.
C’est dire que depuis la nuit des temps, les femmes furent marginalisées et ne purent entreprendre des études scientifiques, même dans les pays occidentaux.
Dans les pays sous-développés, notamment en Afrique, le rôle de la femme fut toujours de rester au foyer. Elle dut toujours s’occuper du ménage et donner naissance à des enfants. Avec la scolarisation, introduite dans plusieurs pays dont le Bénin, lors de la colonisation, les filles commencèrent à fréquenter l’école et à poursuivre de hautes études.
La 1ère étudiante noire de la faculté de médecine de Dakar en 1958 fut une béninoise, la regrettée Béatrice Aguessy-Ahyi. Elle poursuivit ses études universitaires et devint la première femme agrégée en médecine à Paris en 1983 (toutes compétences confondues). De retour en Afrique, dans son pays le Bénin, elle fut la première femme professeur de rang magistral de l’Université Nationale du Bénin, aujourd’hui Université d’Abomey-Calavi et de l’Afrique de l’Ouest, dans la spécialité de Gynécologie-Obstétrique, complétée par d’autres spécialités comme le planning familial, la gestion de la stérilité, la médecine du travail, la médecine pénitentiaire. Elle a contribué à la formation de plusieurs générations de médecins.
Ces dernières décennies, les proportions ont évolué en faveur de la jeune fille et de la femme.
A la faculté des sciences de la santé de Cotonou, le pourcentage de femme a changé en faveur de la jeune fille. Quelques exemples à noter : En 1978: 7 filles sur 23 garçons, inscrites à la faculté de médecine
En 2021: 16 filles sur 17 garçons, inscrites à la faculté de médecine
3 filles sur 3 garçons, inscrites à la faculté de pharmacie.
Clara Lucci,
Peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas le jour suivant…mais un jour, la question te sera posée. Qui sait ? Peut-être qu’elle t’a même été déjà posée:
Jeune fille, pourquoi choisir d’entreprendre des études médicales ?
La réponse est généralement plurielle.
Souvent une histoire personnelle ou familiale, soit de la petite enfance, soit de l’adolescence !
Souvent une ambition grandissante, avec la maitrise des matières scientifiques au lycée !
Souvent une ambition concrétisée après le baccalauréat, inscription à la faculté de médecine, avec engagement et détermination !
Quelle que soit la raison pour laquelle tu veux devenir médecin, je partage avec toi, ma conception de la femme médecin.
Une femme médecin devra rimer avec une éducation bonne et rigoureuse, basée sur sa religion, quelle que soit ton obédience.

Chère enfant,
Que ta raison ne méprise pas la foi !
Sache que la force de la femme est sa spiritualité (Ps 31 v 1). Sois vertueuse, travailleuse et tu seras épanouie. Veille sur ta maison ! Sois consciencieuse, équilibrée, engagée, déterminée, fidèle et honnête. Distingue-toi positivement dans la cité. Construis ton futur, bâtis ta réputation. Garde précieusement dans ton cœur ces paroles « La réputation, on la bâtit au jour le jour, C’est la réputation qui reste lorsque l’on a tout quitté »
Souviens-toi: Une bonne réputation vaut mieux qu’un bon parfum… (Ecclésiaste 7,1)
Tu seras médecin, oui. Demeure femme aussi !
Tu as la capacité de conduire une carrière concomitamment à une vie matrimoniale. Chaque femme est unique. Chaque relation de couple aussi. Tu trouveras un équilibre entre tes deux carrières: médecin et femme au foyer.
Pour cela, tu devras discerner et savoir choisir ton conjoint.
Tu devras gagner la confiance et faire la fierté de la famille de ton conjoint car souviens-toi : « montre-moi ta femme et je te dirai qui tu es ».
Quand le ciel te donnera des enfants, sois une mère qui veille sur son foyer et assure l’éducation de ses enfants. Ne t’en détourne pas au motif de ta carrière. Ce sera une quête et une lutte permanente de stabilité. Alors, ne te morfonds pas si tu titubes, tatonnes et cherches tes repères ! Tu n’es pas parfaite, loin s’en faut. Il y a beaucoup d’embuches sur le chemin, mais tu y arriveras.
Souviens-toi : « veillez et priez, afin que vous ne tombiez pas dans la tentation : l’esprit est bien disposé mais la chair est faible (Mathieu 26, 41)».
Implique ton homme ! Développez une relation profonde avec Dieu.
Confie-toi au Tout-Puissant ! Agis dans la patience !
Tu réussiras.
Je te le souhaite.
Avec tendresse,
Dorothée Kinde-Gazard