0 CFA

Votre panier est vide.

Voix de femme : Aissatou AYA N’Diaye reine du fonio

Date :

Journaliste diplômé du Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI) de Dakar, Boubacar FAYE est actuellement reporter au service Education et Formation du quotidien national Le Soleil. La lutte contre la désinformation et les questions liées aux droits des femmes l’intéressent particulièrement. Il est aussi lauréat du premier prix de la rédaction MediaLab francophonie à travers une production sur l’égalité des genres lors du dernier Sommet de la Francophonie à Paris.

Dans son pays le Sénégal, il est difficile de parler de fonio sans connaître Aissatou Aya Ndiaye. Cette femme a révolutionné la culture de la céréale dans les régions de Tambacounda, Kédougou et une partie de la Casamance (régions de l’Est et du Sud du Sénégal). La septuagénaire a obtenu la reconnaissance de trois présidents sénégalais grâce à son engagement pour la promotion de l’agriculture et particulièrement du fonio. Son surnom « La reine du fonio » n’est pas fortuit.

Visiblement elle ne porte pas de couronne. Pourtant, elle est reine d’un royaume agricole qu’elle a bâti sur les pas de sa maternelle.En décembre 2023, pour la 31e édition de la Foire internationale de Dakar (Fidak), elle n’est pas venue en qualité d’exposante mais de visiteuse. C’est à se demander si elle n’est pas tombée amoureuse des lieux bien que différents de ce qu’elle a connu dans les années 1970. « Aux débuts de la Foire, toutes les régions étaient représentées, les pays étrangers aussi. À l’ouverture, les autorités chargées de l’agriculture et du commerce venaient passer une journée avec nous. A cette époque, la Foire accueillait tellement de monde que les gens n’avaient même pas où mettre les pieds»,dit-elle, nostalgique. Depuis les années 1970, de l’eau a coulé sous les ponts. La Fidak n’est plus ce qu’elle était auparavant mais Aissatou, en bonne marraine, ne quitte pas les lieux où le fonio est présent.

« Je suis née dans l’agriculture »

Assise au milieu du stand réservé à la région de Kédougou, lunettes noires bien attachées, la femme en bleu est la matriarche incontestée de la délégation. Aissatou Aya Ndiaye, née d’une famille peule en 1946 à Kédougou, a passé toute son enfance entre les champs et les corvées de sa maman. Celle-ci l’a initiée à l’agriculture et aux travaux ménagers propres à une femme de la campagne. C’est ce qui explique son bref passage à l’école élémentaire qu’elle n’a fréquenté que quelques heures toute sa vie. « Je suis allée à l’école le matin et ma mère m’en a extirpée à 12h pour l’aider dans ses travaux ménagers. Nous vivions dans une grande famille et j’étais sa fille unique. J’ai dû donc arrêter l’école pour me consacrer à ses services. Ce que je n’ai pas regretté plus tard», confie celle qui a démocratisé la culture du fonio au Sénégal. Cette céréale sans gluten est riche en vitamines, en minéraux et en protéines végétales. En outre, sa culture ne nécessite pas d’engrais fertilisants. Ce qui fait du fonio un aliment à vertus thérapeutiques.

Au début de sa carrière, Mère Aya (comme l’appellent affectueusement les plus intimes) cultivait du fonio pour le plaisir mais pas pour se faire du profit. « Les gens ne connaissaient pas le fonio » , justifie-t-elle. Vient ensuite une opportunité où elle est appelée à l’université de Dakar pour préparer du fonio aux étudiants puis à l’hôpital principal de Dakar pour les malades. «C’était le déclic pour moi et naturellement pour le fonio au Sénégal. Les gens l’ont bien apprécié. Maintenant plus de la moitié des habitants de la région de Kédougou cultivent et transforment du fonio. J’ai formé beaucoup de femmes sur la transformation des produits céréaliers et particulièrement du fonio. Maintenant j’envoie mes apprentis à ma place. C’est pourquoi on m’appelle la reine du fonio», confie-t-elle d’une voix tremblante.

L’autonomisation de la femme, une nécessité

Lorsque Maimouna Diagana venait à la Foire pour la première fois, c’était en qualité de teinturière artisanale. Activité qu’elle a laissée à cause de ses problèmes de vision. N’empêche qu’elle a marqué de ses empreintes cette profession. Habitante de Tambacounda, elle a connu mère Aya dans des circonstances « particulières » qu’elle se remémore jusque-là. « Mère Aya me considère comme sa fille depuis la première fois qu’on s’est vues et c’est ce qu’elle fait avec toutes les femmes. Si j’arrive à être autonome en tant que femme, elle en est pour beaucoup», témoigne celle qui  chemine avec elle depuis plus de 30 ans. L’autonomisation de la femme est une question d’honneur pour Aissatou Aya Ndiaye. En témoignent les nombreuses femmes qu’elle a encouragées à se mettre au travail sans pour autant tout espérer de leurs maris, même en dehors de sa région natale.  «Les hommes sont braves mais il faut toujours qu’il y ait dans la famille deux bras qui se soutiennent. Même si l’activité de la femme ne peut payer que le sel pour la cuisine ou le savon pour les enfants, c’est significatif», confie-t-elle.

Sous le poids de l’âge, son visage laisse apparaître des rides qui n’ont pas atteint son organisation car, composée de la jeune génération qu’elle a formée, même si elle intervient fréquemment pour les orienter.Lauréate du grand prix du chef de l’Etat à trois reprises, Aissatou Aya Ndiaye a serré la main aux présidents Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall. Et cet honneur, elle le doit, en partie, au fonio mais surtout à son engagement pour l’autonomisation économique des femmes de sa localité. Avec le président Macky Sall, Aissatou Aya Ndiaye a remporté le prix de l’innovation pour les mêmes causes qu’elle défend. Elle n’en veut pour preuve que son plaidoyer auprès de celui-ci pour que les femmes cultivatrices du riz à Kédougou obtiennent une  moissonneuse, narre-t-elle en toute fierté.

Aissatou Aya Ndiaye a dispersé les grappes du fonio un peu partout dans le monde. Elle assiste à de grands événements agricoles comme le Salon International Agricole de Paris, le Terra Madre en Italie et des foires agricoles en Espagne et aux Etats-Unis. « C’est vrai que je ne comprends pas leurs langues mais dans chacun des pays où je me rends, j’ai mon enfant là-bas qui m’aide à interagir avec eux». Enfant, ce terme est équivoque pour Mère Aya car ne désignant pas uniquement ses enfants biologiques. Même ceux et celles qu’elle a formés dans l’agriculture et la transformation sont ses « enfants ». Celle qu’elle considère comme son aînée n’en demeure pas moins sa plus grande fierté dans ses activités de tous les jours. Elle en veut pour preuve le fait qu’elle lui ait confié les rênes de son GIE (Groupement d’intérêt économique) Koba Club. Taïba Sidibé, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, frôle la cinquantaine. « Mère Aya nous a fait comprendre qu’une femme ne doit plus s’occuper de son foyer sans exercer une activité génératrice de revenus. Elle nous a enseigné toutes les étapes de la transformation du fonio des champs aux laboratoires. Nous lui devons tout notre succès dans ce métier », témoigne-t-elle. Mais son succès à elle, Mère Aya le doit à ses parents: « les prières de mes parents m’ont accompagnée tout au long de ma vie ».

A la perspective de consigner tout son parcours dans un livre, Mère Aya n’y pense pas trop, mais « il y en a qui sont peut-être en train de le faire » en faisant référence à ses enfants dont des ingénieurs et cultivateurs établis au Sénégal et à l’étranger. « J’ai aussi des petits enfants très curieux qui me posent incessamment des questions », ajoute-t-elle. La vie et l’œuvre de Aissatou Aya Ndiaye, sans risquer de se répéter, ont imprégné ses « enfants », le fonio et indéniablement la vie de toutes ces femmes qui, par ses soins, sont devenues autonomes.

Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Partager

spot_img

Populaires

dans la même catégorie
Articles