Les résultats des examens sont désormais connus, révélant comme toujours deux réalités opposées. D’un côté, la joie des admis, de l’autre, la déception des recalés. Si certains exultent, d’autres doivent faire face à la douleur de l’échec. Une période souvent difficile à vivre, surtout pour les plus jeunes. Hyppolite Sessou, psychopédagogue, revient sur les impacts psychologiques de l’échec scolaire chez les apprenants et partage des conseils pour mieux le surmonter et rebondir.

En tant que psychopédagogue, comment expliquez-vous l’impact d’un échec scolaire sur le moral et la motivation d’un élève ?
Je dirais que l’échec scolaire, lorsqu’il n’est pas bien accompagné, peut être une blessure profonde dans le cœur de l’élève. Chez nous, l’enfant grandit souvent dans une communauté où la réussite scolaire est perçue comme un honneur pour la famille, un espoir pour le parent, voire une voie vers l’ascension sociale. Les attentes de l’entourage envers l’apprenant constituent une forme de pression entretenue de diverses manières durant l’année scolaire : rappels à l’ordre, menaces, renvoi aux cahiers, etc. Ainsi, lorsqu’un élève échoue, ce n’est pas seulement une promotion qu’il perd, mais parfois aussi l’estime de ses proches et la confiance en lui-même.
L’échec peut provoquer chez l’apprenant consciencieux, un sentiment de honte, de rejet ou d’humiliation. Il peut se dire : « Je ne vaux rien », « Je ne suis peut-être pas intelligent », ou encore « Je vais encore décevoir mes parents. « Cela affecte directement son moral : il devient triste, renfermé, parfois agressif ou démotivé. Et cette perte de confiance agit comme un frein à sa motivation. Il n’ose plus poser de questions, il évite de s’exprimer, il se rétracte ; il a le moral bas et peut faire une dépression légère qui peut s’aggraver en fonction du contexte. Il fuit les enseignants ou les parents, de peur d’être encore jugé.
Mais je crois que l’échec peut être un point de nouveau départ. Dans nos traditions, on dit : « C’est en tombant qu’on apprend à marcher. » L’échec, bien géré, peut devenir une leçon de vie. Cela dépend de l’environnement affectif, de l’attitude des enseignants, et surtout de la manière dont l’élève est accompagné. C’est pourquoi nous devons écouter l’enfant, valoriser ses efforts, et le reconnecter à son potentiel, au lieu de le réduire à ses résultats scolaires.
Quelles sont, selon vous, les erreurs à éviter dans la manière dont les proches, notamment les parents, réagissent face à l’échec d’un enfant ou d’un étudiant ?
Je voudrais d’abord faire remarquer que certaines réactions, bien qu’inspirées par l’amour ou l’inquiétude, peuvent aggraver la situation de l’enfant plutôt que de l’améliorer.
Certaines réactions sont teintées de colère ou de violence verbale. Dire à un enfant : « Tu es bête ! Tu ne réussiras jamais ! » ou encore « Tu es une honte pour la famille ! » est profondément destructeur. Ces mots blessent l’estime de soi, créent de l’angoisse et figent l’enfant dans l’échec. Or, dans nos cultures où la parole a un poids symbolique fort, un mot mal placé peut suivre un enfant toute sa vie.
Je pense également qu’il est dangereux de comparer l’enfant aux autres apprenants. Dire : « Regarde ton cousin ou ton camarade d’en face, lui il a réussi ! » est une façon involontaire d’humilier l’enfant. Chaque enfant est unique. Le comparer, c’est nier son chemin personnel, ses talents propres, et cela peut engendrer jalousie, repli sur soi ou même rejet de la famille.
C’est une erreur de croire que l’échec est une fatalité. Beaucoup de parents disent : « Il n’est pas fait pour l’école », ou « Il a une mauvaise tête. » Ce fatalisme bloque toute possibilité d’évolution. Or, comme le dit le Groupe Afafa: « les gagants ne sont pas ceux qui n’ont jamais chuté mais c’est ceux qui ont su se relever. » L’intelligence se développe, et chaque enfant a un rythme d’apprentissage qu’il faut respecter et accompagner.
L’autre dérive autoritaire chez certains parents, c’est de punir plutôt que de chercher à comprendre les raisons de l’échec. Priver l’enfant de nourriture, le forcer à faire des corvées, ou le frapper à cause de ses faibles performances scolaires, ne règlent rien. Au contraire, cela associe l’école à la douleur. L’enfant n’a alors plus envie d’apprendre : il apprend à avoir peur, non à s’épanouir.
Aussi, y a-t-il une catégorie de parents qui préfèrent ignorer les causes profondes de l’échec. L’échec n’est pas toujours dû à la paresse. Il peut être lié à des difficultés d’apprentissage, à un manque de méthode, à des problèmes familiaux, à la santé mentale ou à des pressions sociales. Ne pas chercher à comprendre ces causes, c’est traiter les symptômes sans s’attaquer à la racine du mal. Les parents et les proches doivent apprendre à écouter, à encourager et à accompagner, plutôt que juger l’apprenant recalé. Dans la sagesse africaine, l’éducation est une œuvre collective : « L’enfant appartient à toute la communauté. » Il est donc de notre responsabilité, en tant qu’adultes, d’aider chaque enfant à se relever de ses chutes, avec bienveillance, patience et foi en ses capacités.
Quel type d’accompagnement les parents peuvent-ils offrir concrètement pour aider leur enfant à traverser cette période difficile ?
Je pense que l’accompagnement parental, pour être efficace, doit être humain, patient et enraciné dans les valeurs sociales.
Les parents gagneraient à offrir une présence rassurante et non jugeante à l’apprenant recalé. Quand un enfant vit un échec, il a avant tout besoin de se sentir aimé malgré tout. Pourquoi ne pas dire par exemple « Ce n’est pas bien grave. Nous allons chercher ensemble ce qui n’a pas pu marcher et comment t’aider. » Cela rassure l’enfant et le libère du poids de la honte. Dans notre culture, le regard du parent est une force : quand un parent croit en son enfant, même dans la tempête, l’enfant retrouve l’espoir.
Les parents doivent créer un climat de dialogue. Plutôt que d’interroger l’enfant avec méfiance « Pourquoi tu as échoué ? » on peut poser des questions ouvertes et bienveillantes comme : « Qu’est-ce qui a été difficile pour toi cette fois-ci ? » ou « Comment comptes-tu faire autrement la prochaine fois ? ». Cela aide l’enfant à analyser ses erreurs sans peur, à développer un regard critique sur son parcours scolaire en construction.
Une attitude recommandable serait de valoriser les efforts, pas seulement les résultats. Même si l’enfant a échoué, s’il a fait preuve de sérieux, de ponctualité ou de progrès dans un domaine, il faut le féliciter. Cela nourrit sa motivation.
Dans tous les cas d’échec, les parents devront travailler à réorganiser le cadre de travail à la maison. Les parents peuvent aménager un petit espace calme pour l’étude ; organiser un emploi du temps équilibré entre repos, devoirs et activités ; limiter les distractions (écrans, tâches ménagères excessives) pendant les moments d’étude, etc. Ce sont des gestes simples, mais qui montrent à l’enfant que ses efforts comptent. Dans une certaine mesure, les parents peuvent recourir aux aides extérieures si nécessaire.
Il ne faut pas hésiter à, par exemple, rencontrer l’enseignant titulaire de la classe de l’élève recalé pour mieux comprendre les difficultés ; consulter un psychopédagogue, un psychologue ou un spécialiste si l’enfant semble démotivé ou bloqué durablement ; encourager les groupes d’étude ou les tutorats scolaires, qui, dans certains milieux éducatifs, sont des formes efficaces de soutien entre pairs. Si les moyens le permettent, il faut engager des répétiteurs compétents pour un soutien scolaire approprié.
Au total, l’accompagnement parental, à certains égards, ne demande pas toujours de grands moyens. Il demande surtout le cœur, l’écoute et la foi en l’enfant. C’est cela qui transforme l’échec en tremplin, et non en malédiction.
Comment aidez-vous un élève à surmonter la déception et à retrouver confiance après un échec à un examen ?
Je voudrais bien aborder l’échec non pas comme une fin, mais comme un passage, parfois obligé. Dans nos cultures, on dit souvent que : « Le fleuve n’arrête pas son cours parce qu’il rencontre une pierre ». De même, l’élève ne doit pas arrêter de progresser à cause d’un revers.
Je crois qu’il faut accueillir l’émotion de l’élève sans la minimiser. La première étape, c’est écouter. L’échec à un examen est souvent vécu comme une humiliation ou une injustice. Je laisse l’élève exprimer ce qu’il ressent : tristesse, colère, honte, peur, pleurs. Je peux lui dire : « C’est normal d’être déçu. Ce que tu ressens est légitime ».
Il faut déjà commencer par nommer l’échec sans étiqueter l’apprenant. Il faut distinguer l’échec de la personne. Cela permet à l’élève de prendre du recul et de comprendre que cette situation est passagère, et non une définition de son identité. Il convient ensuite de faire une sorte d’analyse rétrospective en revenant sur le parcours de l’apprenant et revisiter les efforts qu’il a fournis. Dans cette logique, je l’invite à revoir tout ce qu’il a appris, compris ou amélioré durant la période de préparation. Même si le résultat n’est pas au rendez-vous, il y a toujours des acquis invisibles : des méthodes, des lectures, une meilleure gestion du temps… Il faut les mettre en lumière pour valoriser les progrès réels.
Il faut également identifier les causes de l’échec sans blâmer l’apprenant recalé. Ensemble, nous analysons calmement les raisons de l’échec : manque de préparation ? méthode inadaptée ? problèmes de concentration ou de stress, de santé ? manque d’ouvrages scolaires adéquats ? difficultés personnelles ou familiales ? Cette démarche permet de transformer la défaite en expérience d’apprentissage. On ne peut avancer sans se fixer des objectifs concrets et atteignables. Pour relancer la motivation chez l’apprenant recalé, je lui propose de petits défis à court terme ; je l’aide à mettre en place un nouveau planning pour réétudier les chapitres et les notions mal assimilés. Sans faire vouloir l’apologie de l’échec, je puis vous rassurer que les esprits élevés savent qu’il y a une pédagogie de l’échec fondée sur la résilience et l’endurance. Nelson Mandela a été emprisonné pendant 27 ans, mais il n’a jamais abandonné. Il a eu foi en son rêve politique et est devenu Président de l’Afrique du Sud avant de mourir.
Il faut retenir que, aider un élève à se relever, c’est réveiller en lui la graine de confiance que l’échec a tenté de semer. C’est lui rappeler qu’il est plus grand que sa contre-performance, plus fort que son erreur, et qu’avec le bon accompagnement, il peut transformer chaque chute en tremplin vers sa réussite.
Peut-on considérer l’échec comme une étape constructive du parcours scolaire ? Si oui, comment le faire comprendre à un jeune en détresse ?
Oui, l’échec peut être une étape constructive du parcours scolaire lorsqu’il est perçu, non comme une fin, mais comme une occasion d’apprentissage et de maturation. En réalité, l’échec révèle les limites d’un apprenant, l’invite à revoir ses méthodes de travail, et l’aide à développer sa résilience. Pour le jeune en détresse, il est essentiel de lui faire comprendre que même les plus grands réussissent après plusieurs tentatives infructueuses. C’est en valorisant ses efforts, en analysant ses erreurs avec objectivité et bienveillance ; en lui montrant des exemples concrets de réussite après l’échec, qu’on peut l’aider à changer de regard par rapport à l’échec. Dans la sagesse africaine, on dit : « Ce n’est pas la chute qui fait mal, c’est de rester au sol ». Ainsi, bien accompagné, l’échec peut devenir un tremplin vers une réussite plus solide et plus consciente.
Quel message d’encouragement aimeriez-vous adresser à ceux qui viennent de rater un examen important ?
À toi qui viens de rater un examen, sache ceci : un échec n’est pas la fin de ton histoire. C’est juste un détour, pas un mur. Tu as peut-être mal, tu te poses des questions, tu doutes de toi. C’est normal. Mais souviens-toi : même le baobab a commencé petit, fragile face au vent. Ce que tu vis aujourd’hui peut devenir la racine de ta force de demain. Ne te définis pas par l’échec. Tu es bien plus grand(e) qu’un résultat. L’échec n’annule pas ta valeur, il révèle juste un point à renforcer. Respire, relève la tête, prends le temps de comprendre ce qui n’a pas marché. Tu as encore le droit d’essayer, de progresser, de réussir. Et surtout, n’oublie pas : « l’échec est le succès différé. » Tu finiras par y arriver, à ton rythme, avec courage et foi en toi.
Propos recueillis par Meuris Véran DANSOU (Coll)